Elle ne se sentait plus elle-même depuis quelques semaines. Elle veillait à garder ses distances, repoussait les rares congénères qui osaient venir à sa rencontre. Elle était blessée. Elle était tiraillée. Partagée entre deux feux : le besoin de rendre honneur à son père en assurant la sécurité de la meute avec indifférence, brutalité, et celui de passer du temps avec ses amis. Elle avait du mal à consigner les deux — elle devait être plongée dans un profond hiver pour accomplir la première tâche pendant que la seconde exigeait davantage de liberté d’expression.
La raison avait finalement écrasé le cœur, dressant une cage autour de ses sentiments amers, glissant sa solitude derrière d’épais barreaux. Elle n’en avait jamais souffert avant, probablement car elle n’avait pas eu de vrais amis avant de rencontrer Torak. Elle était imperméable, à l’époque. Elle trouvait difficile de rebâtir des murs autour de sa silhouette, cependant. Elle les avait abandonné, avait aimé se sentir entourée. Mais son choix était fait.
Elle se levait chaque jour aux aurores, sautant fébrilement sur ses pattes dès que le soleil mimait de s’étirer à l’horizon. Elle prenait rarement le temps de dire à sa famille où elle allait, préférant rester seule avec ses pensées moroses. Son père remarquerait trop facilement son esprit troublé, il lui en voudrait pour ses nouvelles faiblesses. Elle soupira bruyamment. Elle courrait depuis de longues heures déjà, décidée à se rendre aux monts. Là-bas, Cersei trouvait le calme nécessaire pour s’entraîner. Une fois au pied de la grosse masse rocheuse, la jeune louve s’arrêta. Elle inspira profondément. Les odeurs particulières des bois la rassuraient beaucoup. Elle s’apprêtait à escalader le côté le plus escarpé quand le son persistant de grattements l’obligea à s’immobiliser. Elle chercha la provenance, puis remarqua que cela venait d’un petit bosquet sur sa gauche. Elle se glissa vers la source, demeurant face au vent pour ne pas être trahie par son odeur. Elle marchait lentement, avec prudence, le ventre très près du sol. Elle esquivait soigneusement les plaques de neige éparse qui commençait à fondre, posant plutôt ses coussinets dans la mousse humide qui absorbait le bruit de ses déplacements furtifs. Ses yeux distinguèrent bientôt la cause de ce vacarme : un raton-laveur.
Elle hésita une seconde pour mieux reprendre sa progression silencieuse. À quelques mètres de l’animal, cachée dans des buissons bas, Cersei émergea d’un bond félin. Elle réussissait de mieux en mieux à canaliser son énergie, à la concentrer aux endroits les plus stratégiques de son corps. Cela lui donnait une détente idéale pour gagner du terrain sur ses proies. Elle sauta sur le raton-laveur en l’entraînant dans une roulade théâtrale. L’animal hurla de surprise, demeurant immobile quelques secondes — probablement pour reprendre ses esprits — avant de la rouer de coups avec ses longues griffes. Cersei l’imita, jetant ses crocs acérés dans la bataille. Elle serra violemment une patte dans ses mâchoires, brisant le membre d’un mouvement sec. Elle le lâcha ensuite. Le raton détala sans demander son reste, la louve à ses trousses. Elle esquiva sans peine les arbres qui défilaient, flous, dans son champ de vision. Elle allait vite. Elle était consciente du danger, il y avait énormément de falaises traîtresses dans les environs. Elle accéléra, redoubla même l’allure grâce à une poussée d’adrénaline, avant de se jeter lourdement sur la bête. D’autres os craquèrent, la proie exhala un gémissement avant de s’écrouler mollement, étouffée sous son poids. Plutôt satisfaite de sa trouvaille, la jeune femelle récupéra le raton entre ses dents, l’enterra sur le chemin par lequel elle rentrait, puis se retourna vers la montagne pour commencer son entraînement.
« halloween »