SOLO - du chemin à parcourir

J'ai mangé, j'ai trouvé un coin à peu près vivable, j'ai dormi un peu, et une bande de loups qui vont très vite m'en vouloir vit à quelques pas d'ici, donc j'imagine qu'il n'y a plus qu'une chose à faire - essayer de rester en forme d'ici le jour où ils voudront ma peau. Qui arrivera très vite, c'est indéniable, autant être prêt.

La maison abandonnée que je viens de trouver est la définition même d'une maison humaine que je me faisais avant de me rendre compte que la plupart des constructions de ce genre avaient été rasées, et rien que par ce fait, est intéressante. Mais surtout par la quantité de petites pierres qui traînent autour d'elle, qui feront d'excellents poids pour mes muscles pitoyables... Quoique, je ne me rendais sûrement pas compte de leur caractère pitoyable avant d'en avoir effectivement une entre les dents. C'est monstrueusement lourd, ce truc...

Pas assez pour ta détermination, je m'exhorte à m'y mettre quand même. Et je découvre aussi qu'avancer dans l'eau et la vase jusqu'au ventre en traînant un caillou est un très bon moyen d'essayer de crever de fatigue. Mes pattes s'enfoncent à chaque pas, et les extirper du bourbier demande un effort considérable; sans parler de garder mon chargement hors de l'eau - je ne veux pas avaler une seule goutte de cette eau douteuse - qui me donne l'impression que mon cou va se briser d'une seconde à l'autre. Allez, un pas, un autre, tu peux le faire... De temps en temps, je me prends les pattes dans une racine, et c'est l'occasion de manquer de trébucher, ou de carrément lâcher la pierre et me retrouver à aller en chercher une autre pour continuer à faire des petits tours autour de l'habitation. J'ai le sentiment que mes crocs vont se détacher si je continue un seul instant de plus. J'aurais presque aimé, ça m'aurai donné une excuse pour arrêter cet exercice infernal - pourquoi est-ce que je me suis dit que c'était une bonne idée?

Au final, quand je lâche enfin le dernier caillou pour aller m'effondrer sur une planche abandonnée, j'ai mal partout et je n'ai objectivement pas parcouru beaucoup de distance sur mon circuit dans l'eau. Mais largement assez pour mon endurance misérable et l'énergie que j'ai eu à déployer pour le faire, et je crois que j'ai mérité une pause.

Me péter les dents, c'est fait, il est temps de passer à autre chose.

Après avoir passé à peu près une heure à regretter par tous mes muscles ce que je viens de faire, je me suis relevé pour refaire un tour du propriétaire et chercher un autre moyen - moins douloureux - pour exercer un peu ma carcasse de faiblard. Je crois que j'ai trouvé. Il y a des plantes partout sur les murs, étonnamment encore droits après autant de temps et de catastrophes, et des branches non loin. Après l'haltérophilie, c'est parti pour le parcours d'obstacles...

La première tentative s'est soldée par une rencontre brutale avec le sol quand une pierre s'est désolidarisée du mur juste sous mes pattes. La seconde a manqué de faire pareil, cette fois ci à cause du lierre mort. Je peux le faire... Je me suis ramassé sur moi-même, et ai sauté, aussi haut que mes pattes me le permettent, pour attraper de justesse un appui sous la forme d'une branche grinçante. Me hisser dessus fut complexe mais pas impossible. Courir le long du mur et bondir sur le suivant aussi. L'itinéraire est tracé dans ma tête comme une ligne le long des obstacles. Le bout de toit, la branche morte, l'arbre tordu, le sol, le lierre, le mur.

Courir, sauter, virer, courir... C'est définitivement moins pire que ma dernière idée, et à la réflexion, c'est même plutôt marrant. Enfin, ça le serai si je ne risquais pas ma vie à chaque mouvement, et que je ne haletais pas de fatigue après autant d'efforts cumulés. Mais entre ça et affronter un loup fou de rage, l'un est mieux que l'autre, quoi qu'il en soit.

De retour à l'épuisement volontaire. Youpi.

Une idée m'a traversé l'esprit en barbotant jusqu'ici... Je suis dans un marais, plein d'eau, et je vais y rester un moment. Et je suis loin d'être un excellent nageur. Il est donc temps d'y remédier avant d'en avoir vraiment besoin.

La première étape est de trouver un point d'eau ni trop profond ni pas assez. Et assez propre pour ne pas avoir à nager dans de la vase fondue non plus. Il y en a un à quelques dizaines de mètres de mon nouveau repaire, c'est parfait. La deuxième, c'est de s'y mettre, tout bonnement, et c'est l'étape la plus compliquée. Je crois que je me souviens à peine de comment faire. Lève une patte, baisse la, lève l'autre, baisse la, et fais pareil avec tes pattes postérieures. Je crois que c'est ça.

L'eau me donne l'impression de se dérober entre mes coussinets, et j'ai l'impression que quelque chose est en train de tout mettre en oeuvre pour m'empêcher de flotter - peut-être mes propres mouvements désordonnés, qui sait. Une chose est sûre, avec toute la terre que contient cette eau, je vais finir par enterrer la totalité de la berge avec mes projections... Droite, gauche. J'ai beau tout faire pour me motiver à faire ça le mieux possible, j'ai l'impression de juste m'agiter dans le vide, et je cherche le fond pour respirer toutes les cinq secondes. Garder sa tête hors de l'eau est un supplice. Si seulement je n'avais pas besoin de respirer pour ce genre d'exercices débiles, tiens.

Il devient assez vite évident que taper le plus fort possible sur l'eau ne m'amène à rien - sinon à m'épuiser bien trop vite - et je finis par tester des stratégies alternatives. A commencer par y aller plus doucement, en contrôlant mes mouvements. L'eau m'esquive toujours autant, mais il y a une sorte de résistance contre mes coussinets, et c'est parfait, c'est ce que je cherche. De tâtonnements en tâtonnements, je finis enfin par réussir à avancer de façon à peu près efficace sans m'aider du fond. C'est un bon début.

J'ai avalé assez d'eau pour ne plus boire pour le restant de mes jours, je pense. Quand à la vase, mes gestes de pantin désarticulé ont réussi cet exploit d'agiter suffisamment l'eau pour la rendre encore plus trouble. Ce qui explique que je n'ai pas vu la racine avant de m'y prendre les pattes, et de m'enfoncer brusquement sous la surface. J'ai paniqué en la sentant me retenir sous l'eau, la surface à quelques centimètres de mon museau. Non, pitié, je veux pas mourir, pas maintenant, pas aussi bêtement, je veux pas mourir noyé dans de l'eau où j'ai presque pied, je suis trop jeune pour mourir. Pitié-

Je crois que je n'ai jamais été aussi heureux d'être seul, sans personne pour contempler mon ridicule, qu'en touchant le fond et me rendant compte que je dépasse largement la surface assis. Bon. Ecoutez, tout le monde fait des erreurs. On y retourne.

Patte avant droite, patte arrière gauche, patte avant gauche, patte arrière droite. J'ai mal aux épaules et mal aux hanches, à force de pagayer dans le vide, mais c'est une bonne chose, c'est que ça se muscle. Enfin, j'espère. Après autant de temps passé à donner littéralement des coups de patte dans l'eau, je m'interdis de mourir noyé. Ou n'importe quoi impliquant de l'eau. En fait, si je reste encore un peu dans ce marais, je suis carrément parti pour développer des pattes palmées... Ca serai plus qu'un avantage, vu la quantité d'eau qui me passe entre les doigts.

Je crois que j'ai plus que suffisamment pataugé pour aujourd'hui. Il est temps de passer à la suite.

J'ai la force d'un caniche anorexique, et je pense qu'il est plus que temps que ça change un peu. Ca tombe bien, la maison est littéralement enterrée sous un tas de plantes grimpantes qui se sont entourées autour des plus solides pierres qui soient, qui ont eu tout le temps de grandir à des diamètres tout à fait indécents, et comme je ne me suis pas encore déboîté la mâchoire avec mes idioties, c'est le moment d'y remédier.

J'ai fait le tour quelques fois de la maison, en cherchant un coin pas trop porteur non plus - ça serai triste d'abîmer un coin aussi intéressant et mystérieux pour mes petits muscles - et j'ai fini par trouver ça sous la forme d'un muret abandonné sur le côté. Bien, bien... J'ai attrapé une tige de bonne taille entre mes dents, j'ai serré - pas assez pour la couper non plus - et je me suis campé sur mes quatre pattes. Je suis encore trempé, je vais à coup sûr me faire mal, ce que je fais est douteux et sûrement stupide, mais j'y crois. Ou j'essaie de me persuader que j'y crois. Allez, tire.

Ouch, ça fait mal. J'ai arrêté au bout de quelques secondes, déjà essoufflé. C'est si dur que ça, la force brute? C'est sûrement une bonne chose, j'ai besoin de devenir sérieusement menaçant, pas juste un truc chétif et hyperactif qui ne fait peur à personne. Je peux le faire... Je me suis de nouveau arc-bouté pour tirer de toutes mes forces, en grognant pour me donner contenance. Alleeez... Mon cou a été le premier à se plaindre. J'ai essayé de concentrer les efforts plus en arrière, au niveau de mon dos. Le sol humide glisse sous mes pattes, et je vais me tordre une griffe si je fais pas gaffe. Tiens encore un peu, et tu changes de côté, je m'ordonne.

J'aurais bien aimé définir "un peu", j'ai mal partout maintenant. Pas le temps de se reposer. J'ai fait le tour du muret à la recherche d'une autre corde de fortune, et en ai testé quelques unes avant d'en trouver une qui ne m'explose pas au visage. Prends-la dans l'autre sens, on est repartis... Je tâtonne quelques instants - vous avez déjà essayé de tâtonner en tirant un bout de lierre de toutes vos forces? - pour trouver un appui correct avant de m'y mettre pour de bon. J'ai beau avoir changé de côté de mâchoire, mes muscles hurlent leur fatigue.

Par contre, je ne m'attendais pas à ce que la pierre se mette à bouger. Vraiment pas. J'ai lâché la plante de surprise, avant de me dire que ça ne pouvait qu'être une bonne chose. Je l'ai reprise pour tirer, sincèrement déterminé, cette fois. Craaaac... Allez, roule, petite pierre. Je grogne, je sue, je peine, et elle s'éloigne enfin assez des autres pour s'écraser par terre. Le lierre, lui, me revient dessus, et je l'évite de peu.

Bon, largement assez pour cette fois, je pense. J'ai mérité du repos.

Pourquoi je m'entraîne? je me suis demandé. Pour pouvoir me défendre si on m'attaque. Et c'est bien la peine de savoir nager, déplacer des pierres et faire des parcours d'obstacles si je suis une quiche au combat.

Bon, je n'ai personne pour m'entraîner sérieusement, donc il va bien falloir improviser, et ce rondin abandonné fera une parfaite cible. En garde, redouté bout de bois, je suis Rion, le plus mauvais des combattants et le pire des solitaires, et je vais te régler ton compte. Je me suis campé sur mes quatre pattes en laissant mon imagination travailler. Figure-toi un loup, un bon gros loup noir et agressif, qui te menace. J'ai retroussé les babines et hérissé le peu de poil que j'ai, en y mettant toute la frustration d'une journée de chasse bredouille, et j'ai attaqué.

Frontalement, d'abord, parce que, hé, je peux imaginer ce que je veux c'est juste un rondin. J'ai sauté en avant, feinté, mordu, grondé, en tournant autour de mon mannequin improvisé avec toute la hargne dont je suis capable. Imagine que c'est un des enfoirés du camp qui te traitait de tous les noms en te voyant passer, je songe. Mes muscles sont tendus à en craquer, et je dois ressembler à un hérisson rachitique à force d'essayer de me gonfler, j'ai pas des masses de poil à dresser en même temps. En avant, en arrière. J'ai mimé une esquive plus que classe, avant de profiter de la faille laissée par mon adversaire pris au dépourvu pour bondir dessus de tout mon élan, les pattes écartées et la gueule grande ouverte, et le renverser sur le sol, les crocs autour d'un noeud dans le bois. Bien, bien, il est mort, maintenant, essayons une autre tactique.

Je l'ai redressé tant bien que mal - c'est lourd ce machin - avant de me remettre en position. Maintenant, imagine-toi qu'il t'attaque sans cesse. Je m'approche, je recule, j'esquive, je cours et je sautille dans le vide. Le problème c'est qu'il ne me poursuit pas - il ne fait vraiment aucun effort pour ma survie à long terme, cet abruti - donc je dois sans cesse me remettre à mon emplacement initial. J'ai sauté par dessus un nombre incalculables de fois, avant de me glisser le plus vivement possible à quelques centimètres de l'écorce, et de me retourner brusquement pour passer sous son dos et l'éventrer proprement à coups de dents. Je me suis relevé, j'ai esquivé une longue série de coups jusqu'à ce que la fatigue épuise assez mon adversaire pour qu'il ne me voit pas venir quand je passe juste à côté de lui pour le renverser brusquement sur le sol, le tout en poussant moult rugissements aigus à peu près aussi menaçants qu'un moineau enragé qui vous attaquerai. Je trouve que j'ai une excellente imagination.

J'ai l'attaque, j'ai l'esquive, me reste plus qu'à savoir combiner les deux, et c'est reparti pour un fol enchaînement de sauts désordonnés, de claquements de crocs dans le vide, de hurlements et de grondements, de coups de griffes sur l'écorce et de coups d'épaule qui vont vraiment finir par me casser quelque chose. Je finis par élaborer une série d'enchaînements que je répète sans cesse, pour essayer de les rendre aussi instinctifs que possible - quand je serais en plein combat, j'aurais moyennement le temps de réfléchir à quoi faire ensuite. La fin se résume à des contorsions variées, avec l'idée de mon ennemi qui me plaque au sol et que je dois déstabiliser assez pour me libérer et l'attaquer de nouveau, si possible à sa gorge très proche de mes crocs. Quand j'ai enfin épuisé tous les scénarios possibles que mon esprit pouvait élaborer, je me relève pour m'ébrouer et me débarrasser de la boue dont je suis recouvert, essoufflé.

Pas de pitié envers ses adversaires, je m'exhorte à continuer. En l'occurence, c'est moi qui imagine, donc je suis mon propre adversaire, c'est reparti pour un tour.

L'avantage de ce marais, c'est qu'il fait un excellent parcours à lui tout seul, et c'est l'avantage que je compte mettre à profit cette fois. Après avoir repris mon souffle et reposé un peu mes muscles, je suis reparti avec une autre idée en tête. Si mon ennemi s'enfuit dans les marais, il est hors de question que je le laisse partir. Si un cerf passe par ici, il est également inimaginable que je le laisse tranquille. (Bon, pour l'instant, si, mais il faut bien que je me motive.)

Le marais est largement assez grand pour courir un bon bout de temps, alors c'est parti pour la course d'endurance. Je me suis élancé le long d'une langue de terre relativement ferme, sprintant aussi vite que mes pattes en sont capables, et sautillant par dessus les quelques racines un peu proéminentes. La mousse amortit mes pas, mais rend aussi l'avancée plus difficile là où elle cache une vase traître et profonde. Mais je ne m'autorise pas à m'arrêter, le fuyard lui ne s'octroiera pas ce luxe, alors je me dégage en boitillant et repart aussi vite que possible. Allez, plus vite, évite ces troncs nom de dieu, t'es vraiment pas doué, je hurle dans mon propre crâne.

L'air est relativement frais ici, mais je me retrouve très vite à haleter, et je salue d'autant plus l'arrivée subite d'un obstacle d'un autre type. Une grande étendue d'eau trouble, trop large pour prendre le temps de la contourner - de toute façon, j'ai sauté avant de considérer cette idée. L'eau par contre est glacée, malgré son immobilité totale, et l'arrivée brutale d'un tel froid sur mon corps paralyse un instant mes muscles avant qu'ils ne se réveillent et battent l'eau avec toute la force que j'ai dans mes pauvres pattes. Allez, tu t'en souviens, nage mieux que ça, on dirai un chiot balancé à l'eau. Mes pattes battent en cadence, et je les force à ralentir assez pour ressentir à nouveau cette résistance de l'eau qui me donne l'impression d'avancer pour de bon. Droite, gauche, droite, gauche, en avant.

Je finis par toucher le fond et l'agripper de toutes mes griffes, et je ressors de l'eau en courant de nouveau, en prenant à peine le temps de m'ébrouer et encore dégoulinant de flotte et de vase. Il y a des gerbes d'eau dans mon sillage, et je commence vraiment à fatiguer, mais hors de question de s'arrêter maintenant. Les arbres sont plus serrés ici et je perds de la vitesse à les esquiver, mais les percuter me ralentirai encore plus, donc je prends garde à éviter une collision. Les racines sont hautes; je me retrouve à sauter, à me glisser en dessous, à me jeter le long d'un tronc humide pour glisser dessus et esquiver un obstacle. Je cours, je sue, je souffle, et j'ai mal aux pattes. Fragile, va.

Il faudra bien que j'invente une vraie fin à cette course folle. Je la trouve sous la forme d'un arbre mort rachitique, qui sera le cervidé, et je m'arrête à quelques mètres d'une branche basse pour me jeter dessus de tout mon poids. Elle craque un grand coup et s'effondre, et moi avec - heureusement que le sol est mou - et je me relève pour retourner à l'attaque. Je bondis sur le tronc, m'y agrippe de tout le peu de force qu'il me reste, et attrape une autre branche pour la mordre dans un simulacre de morsure fatale que je trouve assez réussi. Je garde ma position quelques instants, histoire de rester un peu réaliste, avant de lâcher prise et descendre de l'arbre - m'effondrer à moitié par terre, en fait - pour reprendre mon souffle. C'était intense, ça. J'esquisse un sourire, stupidement fier de moi. Les meutes n'ont qu'à bien se tenir...

Je vais bien finir par manquer d'idées pour entraîner le plus de muscles possibles de mon corps en même temps, mais en attendant, la répétition est ennuyante et j'ai des heures de recherche de proie à consacrer à la réflexion de nouvelles techniques pour me faire passer une bonne nuit, donc j'en ai encore une réserve. Aujourd'hui, on va creuser.

Au niveau de l'inutilité totale, tu te places haut, j'ai songé en y pensant. Mais au final, quand je vois la quantité d'énergie que j'ai dépensée à creuser le terrier d'un pauvre rat, ça ne serai pas si inutile que ça non plus. Je me suis donc mis en position devant une petite colline de terre à peu près sèche - c'est, vu le reste du marais, un euphémisme pour "un tas de vase qui tient miraculeusement debout" - et ai réfléchi à une stratégie. Avant de réfléchir au fait qu'une stratégie pour ce genre de choses allait être assez douteuse, et donc de me mettre à creuser.

J'ai planté mes griffes dans la boue une première fois, et rétracté ma patte avec le plus de puissance dont j'étais capable. La terre a volé en grumeaux humides autour de moi, et j'ai étiré un début de sourire. Ca ne devait pas être si dur que ça... J'ai lancé l'autre patte à l'assaut de mon nouvel ennemi, et ai enchaîné aussi vite que j'en suis capable. Allez, en avant. Il y a des projections partout autour, un tas commence vite à se former entre mes pattes arrières et mon ventre est bientôt aussi boueux que lors de mes séances de nage improvisée. Ce sont effectivement mes griffes et mes doigts qui commencent les premiers à se plaindre, à force de racler la vase pour en emporter le plus possible dans mon geste, mais je commence à apprendre à ignorer la douleur.

Je tente un moment de creuser avec mes deux pattes en même temps, emporté par l'excitation, mais j'abandonne vite après m'être écrasé dans la boue à quelques reprises. Et je sens le début de quelques courbatures dans mes épaules et mon dos, à force de répéter des gestes aussi énergivores et de m'agiter autant pour objectivement pas grand chose d'immédiat. Accessoirement, une nouvelle difficulté s'ajoute; j'ai pétri la terre à un tel point que je suis maintenant en train de creuser dans un trou d'eau, et des gerbes d'eau sale giclent à chacun de mes mouvements au lieu de la terre que j'essaie de projeter. Je donne littéralement des coups d'épée dans l'eau.

Je finis donc par changer de stratégie. Oui, au final, j'aurais peut-être dû y réfléchir avant, à cette histoire. Mes pattes avant épuisées demandant leur temps mort, je recule de mon oeuvre pour me placer dos à elle, et le tas de terre que j'ai projeté juste sous mes pattes arrières. Enfin, tas est un grand mot, disons le point de concentration la plus forte de terre éjectée, ce qui veut dire que je vais devoir creuser un trou pour reboucher mon trou, niveau productivité/rendu on a fait mieux. Enfin, passons.

Creuser avec les pattes arrières demandent un peu plus d'habileté, et je passe un bout de temps à essayer de trouver la méthode avant d'effectivement faire quelque chose. Entendre les bruits d'éclaboussure de la terre dans la vase - enfin, plutôt l'eau boueuse à ce stade - est un son que je n'aurais pas attendu d'être aussi réjouissant. Enfin, bon, je suis un type occupé à reboucher un trou qu'il vient lui-même de creuser à l'instant dans le seul et hypothétique but d'arriver à faire quelque chose si on l'agresse, donc on repassera pour la cohérence dans toute cette histoire. Je finis par arracher de l'herbe, puis les racines restantes, et je m'arrête enfin pour reprendre mon souffle, exténué. Je titube jusqu'à une planche propre pour m'y effondrer un instant, en réfléchissant à la suite. Qu'est-ce que j'ai moyen de faire d'encore plus inutile que de creuser un trou pour le reboucher ensuite?

Ma dernière aventure avec un arbre, elle, me rappelle surtout que je saute très mal, donc quitte à rendre mes futures chasses un peu moins embêtantes, je peux essayer ça. Et qui sait, je pourrais bien retomber sur un nid un jour, je serais bien heureux de savoir grimper aux arbres un peu mieux que dans ma condition actuelle...

Heureusement, que ce soit sur le lieu de mon dernier festin ou ici, les arbres ont tous une forme de bout de métal qui s'est fait rouler dessus par trois camions humains différents, et mon point de ralliement est une maison, donc j'ai moult obstacles à exploiter dans ma quête de savoir utiliser correctement mes pattes. Pattes encore un peu douloureuses après mon dernier accomplissement, mais elles ont eu tout le temps de se reposer, je ne vais pas non plus passer ma vie à les ménager.

J'ai opté en premier lieu pour un chêne tordu comme un ressort, qui a l'avantage de fournir tout un tas de hauteurs différentes pour mon plan. Je veux voir, avant de sauter pour de bon, jusqu'où je peux aller. La première branche, au ras du sol, n'a pas été difficile à atteindre - j'aurais pu l'avoir en l'enjambant presque. La deuxième non plus, et je me réceptionne directement sur mes quatre pattes, un peu déséquilibré mais globalement dans le contrôle de la situation. Jusqu'ici, tout va bien. Pour la suivante, j'attrape au vol une branche secondaire avec les dents pour me hisser plus facilement, mais ça reste simple. La quatrième me donne déjà plus de fil à retordre, mais j'y arrive, de peu certes mais une victoire est une victoire.

Est-ce que je peux viser plus haut? Je n'ai qu'un moyen de trouver une réponse à cette interrogation... Je me suis remis en position, face à une cinquième ramure, les muscles tendus à en claquer et la concentration au paroxysme. Mon saut m'a surpris moi-même, je crois, mais ça n'a pas été assez. Je me retrouve suspendu quelques instants à l'écorce avant qu'elle ne cède sous mon poids en m'entraînant au sol. Bon, tant pis pour celui-là. Retournons au précédent...

Je me demande si je peux essayer d'améliorer un peu ma façon de sauter. J'ai envie de variété, tiens. Mais il s'avère vite, après une dizaine de tentatives bien moins fructueuses, que ma première technique, la plus instinctive, est de loin la meilleure, et je finis donc par y retourner. Je rajoute de la difficulté autrement - en partant en courant, en sautant le plus vite possible sans préparation, en n'utilisant pas mes mâchoires à l'arrivée - et globalement, je finis par m'habituer à la majorité de ce que je m'impose. Il est temps de passer à autre chose - la longueur.

Pour ça, j'ai une large bande de terrain autour de la maison qui fait un très bon parcours pour courir et sauter juste après. J'essaie d'abord sans courir, histoire de voir la différence, et elle me surprend pas mal. Je vais plutôt bosser ça, ça sera plus intéressant pour la suite - j'ai du mal à imaginer une situation où je dois sauter le plus loin possible sans pouvoir courir, et de toute façon, c'est les mêmes muscles qui travaillent. Je traîne donc une planche sur la partie où je saute, pour mesurer plus précisément mes distances, et je me prépare à courir.

Imaginer mes propres muscles rouler sous ma fourrure a quelque chose de foncièrement très satisfaisant. C'est avec cette idée que j'essaie de sauter plus loin en courant sur de plus longues et plus lentes foulées, ou en allant le plus vite possible sur ma petite piste de démarrage. Au final, je trouve la façon la plus efficace en sprintant le plus vite possible en partant avant d'allonger mes pas pour avoir un meilleur appui au saut. Le reste est une répétition un peu ennuyeuse de quelques sauts avec ma toute nouvelle technique, avant d'être définitivement trop fatigué pour faire quoi que ce soit.

Je crois qu'aujourd'hui, malgré son apparente inutilité, a été un bon jour. J'ai l'impression d'avoir bien bossé, en tous cas, on verra bien si ça a été efficace en conditions réelles...