Aujourd'hui encore, je profitais du zénith pour parfaire ma collection de plantes médicinales. Ma tanière était trop peu rempli ces dernier temps et j'avais le pré-sentiment que bientôt tous mes efforts seraient récompensés. Ma route se tourna rapidement vers le marais. J'avais besoin de mousse et quelques tiges feuillues, qui avaient plus facilement tendance à aimer ce genre d'environnement humide et poisseux, pour pousser. Je trouvais rapidement mon bonheur. J'apercevais au loin toutes sortes de variétés pouvant ravir n'importe quel guérisseur. Il n'y avait pas tout ce dont j'avais besoin, mais il y avait des végétations auxquelles je n'avais pas pensée et qui n'auraient fait qu'embellir mon catalogue.
Je m’approchais des quelques feuillages en trottinant et observais avec attention. Je ne pouvais pas tout emporter, alors je voulais choisir l'élite de l'élite. La crème de la crème des ressources naturelles pour prodiguer les meilleurs soins possible. Je scrutais chaque détails qui constituaient chaque feuille, minutieusement. Puis, sautillant gaiement d'un buisson à l'autre en faisant craquer les brindilles sous mes pattes, je prenais avec moi un ou deux morceaux d'écorces, quelques mètres de toile d'araignée, beaucoup de petites baies cœur de mer, une lichette de miel qui perlait d'un des branchage et enfin la fameuse mousse des marais. Celle pour laquelle j'étais venue à la base.
Alors que j'allais pour ramasser mon ultime découverte, des aiguilles blanches, quelques unes d'entre-elles me stoppèrent net. J'étais à la fois terrorisée de découvrir que je n'étais pas seule en ces lieux et dans l'urgence de savoir que quelqu'un ici, était blessé. De nombreuses tâche de sang avaient repeintes les minces feuilles des aiguilles devenues rouges. D'un coup d'un seul, mon attitude vira de la joie à l'inquiétude. Je devais trouver le propriétaire de tout ce liquide qui lui était vital. Je me rassurais en me disant que dans cet état, il ne pouvait rien me faire. Et puis, si je prenais de mon temps pour le soigner peut-être voudrai-t-il bien me laisser en paix par la suite. S'il le fallait il me restais toujours l'option de l'empoisonnement, mais je n'étais pas une meurtrière et ne comptais pas le devenir. Mon oeuvre, c'était de sauver des vie et non d'en prendre. Je n'étais personne pour décider qui devait vivre ou mourir, ce n'était qu'en cas d'extrême urgence et de légitime défense que je retenais cette solution dans un coin de mon esprit.
Déterminée, je ne perdais pas une seconde de plus et optais pour la confiance en l'odorat. Je suivais les traces coagulées qui pavaient le sol et humais l'air qui semblait souffrir lui aussi. J'arrivais enfin vers l'auteur de tout cet art désastreux. Un loup. Non, un chien-loup. Comme light. Comme moi... Je le fixais bouche bée, figée à quelques mètres de lui. Un cri de douleur émergeant d'entre ces crocs me tira de mes souvenirs et me ramena à la réalité. Je me précipitais à ces côtés et comme pour respecter son intimité, gardais un mètre de distance entre nous. Il me dévisageais, d'un air méfiant. Je n'osais m'approcher plus, il avait l'air puissant, en tout cas bien plus que moi. Je préférais ne pas l'irriter plus qu'il en l'était déjà. Je jetais un coup d’œil rapide sur sa posture. Il était blessé à l'antérieur droit et était éraflé sur le flanc, rien de très méchant, juste douloureux. Alors pour le rassurer, et quelques part ça me rassurais aussi, j'esquissais un sourire bienveillant et m'avançais avec une extrême lenteur dans sa direction. Je ne tremblais pas, mais au fond de mon âme j'avais ce stresse intense qui faisait battre mon cœur à vive allure.
«Tout vas bien, je m'appelle Shine. Je suis guérisseuse et je peux t'aider.»
Il me faisait beaucoup penser à ma sœur. Surtout dans son physique si atypique. Je me rappelais encore de tous ses traits, toutes ses courbes. Je les avaient apprises par cœur et les connaissaient sur le bout des griffes.
Non, j'ai pas rêvé, il y a quelqu'un qui s'approche. Grogne, paraîs intimidant, cache ta blessure, fais quelque chose, je me hurle, mais je crois que je suis soit encore trop sonné pour y réfléchir sérieusement soit je n'y crois pas moi-même, et je ne peux qu'espérer que l'autre est amical.
Il en a l'air, quand il finit enfin par être dans mon champ de vision. Enfin, elle. C'est une femelle, me dit mon nez, même au milieu de l'odeur omniprésente des marais qui puent toujours autant. Qui a l'ai franchement peu menaçante, autant au niveau de la carrure - enfin, je peux toujours parler, hein - qu'au niveau du langage corporel, quoique, les deux paraissent souvent liés. Mais ce qui me fait tiquer à peu près exactement au moment où je le remarque, c'est les deux yeux qu'elle a. Bleus. Bleus, genre bien bleu husky, pas vaguement gris jaunâtre comme je l'ai déjà vu. Et la comparaison avec le husky n'est pas juste un hasard, c'est bien la première image qui me vient en tête en la voyant. Elle ressemble à un loup, oui, mais elle a des yeux de chien.
Et ça a dû être ça qui m'a empêché de réagir en premier en la voyant approcher un peu trop près à mon goût. Par exemple, de lâcher une remarque incisive ou autre sarcasme comme je le ferais avec à peu près n'importe qui. Ca, et le fait que je suis une petite nature, ma patte me fait un mal de chien. Haha, c'est le cas de le dire. Bon, je suis encore capable de faire de l'humour nul, ça devrai aller.
« Tout vas bien, je m'appelle Shine. Je suis guérisseuse et je peux t'aider. » Tiens, on dirai que j'attire les férus des plantes, ou cette région est juste très propice à l'apparition spontanée de bisounours cherchant à répandre leur amour sur le monde à coups de mixtures à la couleur douteuse. Enfin, Kira ne rentrant pas dans cette catégorie, on va dire la première option. Et j'espère bien que cette louve, ou ce que c'est en tout cas, n'est pas du genre à avoir le même sale caractère que ma précédente belle rencontre pacifique avec un guérisseur. Pour vérifier ça, il y a un moyen très simple, cela dit; si Kira avait rencontré un chien-loup qui venait de se péter une patte de façon ridiculement stupide et ayant besoin d'aide, elle l'aurai certainement insulté avant de se barrer en l'ignorant, et ce n'est pas ce qu'elle est en train de faire. Elle, Shine, elle a dit. Ca ressemble à un nom humain? Peut-être que ça ressemble à un nom humain... De mémoire, je crois pas, mais les humains sont des plus hétéroclites lorsqu'il s'agit de nommer leurs toutous.
Hors réflexions sur son statut actuel, si elle est guérisseuse, j'imagine que j'aurais pu difficilement mieux tomber. Ne pas tomber de mon tronc d'arbre du tout, certes, mais ça aurai pu être pire qu'une guérisseuse qui a l'air amicale, donc pour une fois, autant être satisfait du destin et arrêter de me plaindre. J'ai laissé retombé ma tête sur le bois et tendu ma patte douloureuse en évidence vers elle, sans la quitter du regard mais en faisant de mon mieux pour mettre ma paranoïa en sourdine. « Rion. » Et tant pis pour mes couvertures multiples, j'ai bien trop peu envie de réfléchir à un autre mensonge là maintenant tout de suite. De toute façon, personne ne me connaît encore sous ce nom ici, à moins qu'on ne me suive en plus de me haïr partout où je passe... « Vu ce qui m'est arrivé la dernière fois qu'on m'a dit ça, la logique voudrai que j'évite de te croire, mais c'est pas comme si j'avais le choix, actuellement... » je marmonne, en retenant mon scepticisme d'être trop apparent non plus.
« D'où tu tires des yeux pareils, toi? » je rajoute après un long moment de réflexion, en jugeant que quitte à sociabiliser un peu avec la personne qui est plus ou moins sur le point de me sortir d'une très mauvaise passe, ce genre de ressemblances serai plutôt intéressantes à mettre au clair. Enfin, bon, je n'ai jamais été très bon lorsqu'il s'agit de sociabiliser non plus. Et fais ça vite quand même, ça m'arrangerai, déjà ça fait super mal et disons qu'être dans une posture aussi défavorisante est assez peu rassurant quand à mon avenir à moyen terme et j'aimerais bien que ça cesse, tu vois.
InvitéInvité
Jeu 7 Juin - 23:44
«Quand la recrue devient alchimiste»
RION & SHINE
Mes mots semblaient l'avoir apaisé, du moins juste ce qu'il fallait pour qu'il me prête une once de confiance. Dans un élan de désespoir il me tendit son antérieur comme pour m'autoriser à lui prodiguer les soins nécessaires. Je lui souriais pour le remercier, je ne voulais surtout pas qu'il penses que je lui voulais du mal. En fait il y avait plus de chance pour que lui me fasse du mal, même dans son état. C'était ma crainte au départ, mais voyant qu'il consentait à me laisser approcher, je décidais de moi aussi lui octroyer un peu de confiance et baissais ma garde pour me concentrer sur mon travail. Alors que je me penchais avec plus de précision sur le problème, une première parole du blessé lui échappa enfin. Je connaissais désormais son identité et c'était amplement suffisant pour accomplir mon devoir de guérisseuse.
«Enchanté Rion. Ne t'en fais pas, ça ne sera pas long.»
En effet, rien de très grave, il n'allait me falloir que peu de temps pour l'aider à se remettre sur pattes. Heureusement pour moi, ma petite cueillette toute fraîche d'il y a quelques minutes, allait pouvoir me servir. Je posais devant moi toutes mes ressources et manipulais tranquillement son membre fracturé. Bien sûr, pour éviter que Rion ne panique face à l'inconnu, j'allais décrire mes faits et gestes pour qu'il sache à quoi s'attendre. Je mâchais longuement un morceau d'écorce, puis avant de l'appliquer, lui indiquais ce qui allait se passer.
«Bien tout est prêt. Je vais maintenant te demander de garder ton antérieur bien tendu. Je vais lui appliquer l'écorce pour l'immobiliser le temps que ton os se reforme de lui même. Ensuite j'y écraserai une baie cœur de mer afin de stopper le saignement et de désinfecter. Pour finir j'y appliquerai un peu de miel pour calmer la douleur. Avec ça, tu devrais pouvoir te mouvoir mais il ne faudra pas trop forcer. Compris ? Parfait alors je commence.»
J'étalais d'abord délicatement l'écorce sur toute la longueur de son membre afin de l'immobiliser. Puis, venait le moment un peu douloureux mais passager d'écraser la baie sur la plaie. Le sang s'arrêtait enfin de suinter me laissant la possibilité d'appliquer le miel. La douceur du nectar agissait rapidement et soulageait la douleur en quelques minutes seulement. C'était surement le moment le plus attendu par le chien-loup qui se retenait de geindre. Mon attention se tourna alors vers les égratignures de son flanc. Là non plus, rien d'alarmant mais malgré tout, il fallait y faire quelques chose. Je ne pouvais pas laisser cette blessure telle quelle, au risque qu'elle s'infecte et empire. Alors que je réfléchissais à la façon dont j'allais procéder, Rion engagea la conversation avec une question qui résonna dans mon esprit tel un écho heurtant le pan d'une montagne.
«Euhmm... De mon père. Je suis désolé, reprenons. Cette fois-ci je vais juste écraser a nouveau une baie cœur de mer et y étaler un peu de miel. Ça fera l'affaire, ton flanc est légèrement éraflé rien de plus.»
J'écrasais donc la dite baie sur l'égratignure et ajoutais une couche de miel par dessus pour désinfecter et soulager la douleur. Une fois terminée, je devais l'aider à retourner en lieu sur, pour qu'il ne devienne pas lui même une proie facile. Je refusais d'avoir fais tant d'effort pour le trouver mort quelques heures plus tard. Ne pouvant transporter le reste de mes ingrédients et Rion, je décidais d'abandonner mon restant de ressource pour accompagner le chien-loup en dehors du marais. Après tout, j'avais le temps de revenir les chercher un autre jour. Servant d'appui, j'aidais Rion à se relever, puis à marcher. Il se débrouillait très bien, c'était un dur à cuir. J'esquissais un sourire et lentement nous progressions dans le marais jusqu'à en voir le bout. La terre boueuse laissait rapidement place à une immense prairie, depuis laquelle il devrai arriver à retrouver son chemin. Seul. Dans un dernier recours, je lui indiquais l'emplacement de ma tanière. Si un jour il avait de nouveau besoin d'aide ou si il voulait juste passer dire bonjour et donner des nouvelles, ma porte lui restait ouverte. Même si c'était surement le dernier endroit où le chien-loup voulait se retrouver. Souriante, je n'attendais pas de remerciement de sa part. Le simple fait d'avoir pu lui porter secours me suffisait amplement et avait fait de cette journée, une bonne journée.
Allez, fini la glande, je songe en trottinant au milieu du marais, la truffe au niveau du sol. Je crève de faim, et puisque pour l'instant j'ai déjà assez embêté mes grands amis de meuteux, je vais réessayer un peu la chasse par moi-même, dans ces marécages qui commencent sûrement à en avoir marre de m'observer tourner en rond pendant des heures avant rater toutes mes prises avec joie et talent. Pour une fois, la chance semble avec moi, et je n'attends pas bien longtemps avant de flairer une odeur étrange. Et aussi étrange qu'appétissante, sur le coup. Ca ressemble à quoi, un rat en plus exotique? Je ne l'ai jamais senti avant, et la curiosité couplée à la faim me fait vite accélérer mon allure en suivant la piste entre les racines entremêlées des marais.
Il a plu récemment, et la mousse est particulièrement spongieuse, en émettant force bruits de succion à chacun de mes pas. Je manque de déraper au moins deux fois sur le chemin avant de l'apercevoir au loin - et de ralentir par la même occasion, il est hors de question de l'avertir de ma présence aussi vite. Et il me faut un moment pour percuter que c'est ce que je recherche. Un rat, ça? C'est seulement un rongeur, ce truc? C'est énorme. Presque ma taille en hauteur à l'épaule, et sûrement le même poids que moi, si ça n'est plus. Il traîne paresseusement dans l'eau, en mâchant sans grande motivation quelques plantes aquatiques au milieu de bouts de bois flottants, et c'est en m'approchant avec toute la lenteur du monde que je remarque le sang sur son épaule gauche - celle face à moi. J'ai étiré un sourire, salivant d'avance. Il peut faire la taille qu'il veut, blessé, il n'ira pas loin... Surtout vu l'état de la plaie. Ca a dû s'infecter dans l'eau des marécages, vu les mouches qui tournent autour en bourdonnant. Il n'a pas remarqué ma présence, et étant donné mon manque cruel de discrétion, c'est qu'il doit être dans un sacré état d'abattement pour porter aussi peu d'attention au monde autour de lui. Je sais ce que je vais manger ce soir, je songe en rampant vers lui, les muscles tendus et mon souffle retenu.
J'ai bondi devant lui, pour tenter de lui couper l'accès à sa potentielle voie de fuite aquatique, en claquant des mâchoires pour lui faire peur. Et c'est réussi, je constate en le voyant pousser un cri en faisant demi-tour pour fuir. Cri qui ne manque pas de me surprendre sur le coup, tant sa ressemblance avec un aboiement me rappelle des souvenirs moyennement agréables. C'est peut-être pour ça qu'il réussit, malgré sa blessure, à mettre temporairement plusieurs mètres entre moi et lui et qu'il me faut quelques bonnes foulées avant de bondir sur son dos - vu ses dents, je vais éviter de l'attaquer de face, sauf si je veux y perdre trois coussinets en une morsure. Il pousse un autre hurlement en essayant de me dégager, et je plante mes crocs dans sa nuque avec toute la force dont je suis capable. C'est à dire, objectivement pas grand chose, mais c'est assez pour sentir le sang affluer entre mes crocs serrés, et son goût excite encore plus mon cerveau déjà bien hystérique à l'idée de tuer une bestiole aussi énorme.
J'ai resserré ma prise en le sentant se débattre avec le peu de force qui lui restait, avant de relâcher pour reculer brusquement quand il a tenté de m'écraser en se retournant sur le dos. Oh, tiens, mais c'est une excellente idée que tu nous donnes là, mon ami. Il a tenté de se relever juste après, et je me suis projeté du plus fort que j'ai pu contre son flanc pour le renverser de nouveau. Mes pattes arrière manquant quelque peu de force, affaibli ou pas, il n'a fait que vaciller avant de pousser un autre aboiement en me fonçant dessus. Pas comme dans "je vais l'attaquer pour me défendre", plutôt qu'il tente de s'enfuir dans ma direction, et le mouvement est tellement absurde qu'il me faut un moment pour réagir, avant de voir l'un des susdits bouts de bois se projeter brusquement hors de l'eau vers son emplacement précédent, la gueule hérissée de crocs grande ouverte.
Le propre cri qui est sorti de mon larynx en percutant ce que j'ai face à moi est largement assez ridicule pour faire passer celui du capybara pour un rugissement terrifiant. Et je crois ne jamais avoir fait volte-face aussi vite de toute mon existence. L'adrénaline a explosé dans tout mon organisme en bondissant à plusieurs mètres du prédateur qui vient d'apparaître, et j'ai glissé sur une racine en atterrissant. Panique, a gueulé mon cerveau juste avant de rencontrer brusquement ma paroi crânienne quand ma tête a percuté le sol. Ma fuite ratée a dû donner une idée au monstrueux crocodile dont j'ai dérangé l'embuscade, puisqu'il s'est retourné vers moi avant d'ouvrir de nouveau la mâchoire vers ma direction. Je crois que je viens de passer de prédateur à proie en moins d'une seconde. Lève-toi, je me suis hurlé en sentant mes muscles se tétaniser face au gouffre abyssal dangereusement proche de moi. Et je ne me serais jamais senti aussi heureux - tout est relatif - d'avoir de bons réflexes pour ce genre de situations.
Clac, ça a fait dans mon dos, alors que je sautais de nouveau hors de sa portée, de façon plus contrôlée cette fois. C'est la dernière fois, je le jure solennellement, la dernière fois que je chasse ici. Le reptile n'a pas attendu avant de se jeter à ma poursuite, et j'ai du mal à savoir si il me considère comme une alternative appétissante à son repas en fuite ou juste comme le responsable de sa chasse ratée et qu'il veut me faire payer. Sûrement les deux à la fois. Je manque de trébucher à nouveau, et je lâche un autre piaulement terrifié en me rendant compte de la proximité à laquelle se trouvent les rangées de dents acérées qui menacent mon intégrité physique. A quelle vitesse court ce truc ?! J'aperçois le capybara du coin de l'oeil avant de bifurquer brusquement vers lui, dans l'espoir qu'il serve de casse-croûte au monstre qui me suit. Regarde, là, t'as un super gros rongeur blessé qui sait à peine courir, bouffe-le à ma place, je suis pas comestible, je t'assure, laisse-moi tranquille, pitié, je savais pas que t'étais là et je pouvais pas savoir. Je lui ai fichu le coup d'épaule le plus violent de mon existence en passant à côté de lui, dans l'espoir de le ralentir assez pour qu'il ne puisse pas improviser une autre stratégie pour s'enfuir. Il a titubé, quelques instants seulement avant de voir arriver sa fin entre les muscles masticateurs de l'énorme reptile.
Je n'ai pas pu m'empêcher de m'arrêter, hypnotisé, pour l'observer se faire déchiqueter par les crocs proéminents du prédateur. C'est ça, ce que ressentent les cerfs en voyant une meute bouffer le plus faible d'entre eux? Bon, la comparaison est un peu bancale, mais j'hésite entre être terrifié et fasciné par un monstre d'une telle puissance physique. L'eau des marais s'est coloré de rouge quand il a traîné sa proie dans l'eau pour la noyer pour de bon. Que le rongeur soit encore en vie après une morsure pareille, même à l'arrière-train, est plus que surprenant. L'eau troublée a fini par se calmer après un temps, et je me suis autorisé à reprendre mon souffle, haletant après une fuite pareille. Souffle qui s'est arrêté net en le voyant reparaître à la surface peu de temps après. Oh merde, bouge, ça a hurlé dans mon crâne quelques millisecondes avant que je ne batte de nouveau mon record du saut le plus précipité et effrayé de toute ma courte vie. Il a peut-être attrapé son capybara, l'autre abruti, mais il y a un chien-loup passablement épuisé et restant stupidement immobile à un mètre de la berge juste à côté de lui, et il ne compte pas rater cette occasion.
Et cette fois, je n'ai pas d'appât à lui envoyer entre les dents pour qu'il me fiche la paix - avec un peu de chance, ceci dit, il est déjà largement satisfait avec sa dernière prise. Et je suis déjà suffisamment échauffé avec la dernière course-poursuite pour ne pas perdre de temps à réaliser la situation avant de partir en courant. Mon cerveau enfin rallumé, je finis par aviser un tronc tordu au dessus de l'eau à ma droite, presque parallèle au sol, sur lequel je bondis sans réfléchir. Je ne sais pas par quel miracle il a tenu sous mon poids, ni comment j'ai fait pour ne pas l'apercevoir avant, mais je ne vais pas abandonner une aubaine pareille. J'ai planté toutes mes griffes dans l'écorce noueuse, tremblant, en regardant le crocodile retourner dans l'eau pour venir flotter à deux ou trois mètres sous moi. Rassurez-moi, ça saute pas, ces bestioles? Avec le poids qu'il doit faire, ça me semble absurde de penser qu'il puisse sauter. Et en même temps, la vitesse qu'il avait sur la terre ferme était particulièrement surprenante. J'ai retenu ma respiration, les muscles tendus à leur paroxysme, pendant les interminables secondes où il a semblé constater que sa seconde proie était perdue pour de bon. Avant de paresseusement retourner à son carnage avec le capybara, et moi de relâcher au moins ma gorge pour enfin inspirer de l'air. Mon coeur bat à en exploser, tous mes muscles me font mal après deux fuites-réflexes aussi brutales, et ma respiration me rappelle celle d'un asthmatique près d'un volcan en éruption.
Je suis en vie. Je crois qu'il m'a fallu un moment pour le réaliser, toujours agrippé comme un fou à mon arbre, en observant le reptile transformer la carcasse de rongeur en steak tartare. Je suis en vie, j'ai survécu à une attaque de crocodile, et je n'en suis pas sorti blessé. L'idée me semble absurde, et ça doit expliquer tout le temps qu'il m'a fallu avant d'envisager enfin de redescendre pour fuir ce coin maudit au plus vite. Vas-y, tant qu'il est occupé, j'ai songé en dessinant mon itinéraire mentalement avant de me lancer. Peut-être qu'y aller discrètement était une meilleure idée, mais la rencontre avec mon ami reptile m'a assez marqué pour que je parte en flèche - plus vite que je ne l'ai jamais fait, là encore - à l'opposé de sa direction dès que mes pattes ont touché le sol après mon saut de plusieurs mètres au bas de l'arbre. Et je ne me suis pas arrêté avant de ne plus avoir ni le capybara, ni le crocodile, ni rien de l'emplacement où j'étais en vue. En fait, pas avant d'avoir quitté le marais tout court et de m'être effondré sur une pierre. Je me sens complètement vidé, après une chasse pareille. En tous cas, c'est une leçon plus qu'intéressante à retenir pour mon prochain passage dans ces foutus marais.
Dernière édition par Rion le Mer 27 Juin - 22:01, édité 2 fois
Est-ce que je suis revenu, malgré le fait que ma dernière chasse a manqué de me tuer par décapitation par mâchoires de crocodiles interposées? Oui. Est-ce que c'est une mauvaise idée? Sans aucun doute. Est-ce que je vais mourir cette fois? On verra bien, hein.
Non, la grande question que je me pose, le nez au sol et les oreilles fébriles à chaque son, c'est de savoir si je vais retrouver une autre bestiole comme celle qui a servi de repas à ma place la dernière fois, parce que maintenant que la peur est passée, il paraît plus qu'intéressant de pouvoir y goûter pour de bon. Pas juste en mordillant dedans avant qu'un reptile affamé ne veuille sa part aussi - comprendre "dans mon gras au passage si possible". Ca fait déjà quelques heures que je marche en rond, tantôt les pattes immergées dans l'eau des marais, avec force bruits d'eau et éclaboussures, tantôt en équilibre sur quelques racines qui dépassent du sol, à chercher du défi pour tromper mon ennui terrible dans le fait de rester dans le contrôle de la situation sur deux pattes sur un bout de bois tordu et humide. Spoiler alert, je suis pas doué à ce jeu, et je me ramasse plus d'une fois. Je finis par deux fois en plein étang, trop profond pour y avoir pied, et me retrouver à nager pour retrouver la côte - côte bien compliquée à remonter, par ailleurs, vu sa hauteur. J'ai même sauté - grimper est un meilleur terme - sur une souche surélevée à trois reprises pour observer les environs au dessus du niveau du sol et des arbrisseaux - mais avec le feuillage bas des arbres ici, c'est une technique moyennement efficace, et j'ai manqué de me casser la gueule au passage.
Tout effort finit par payer, comme dit le proverbe, et une odeur me parvient enfin alors que j'étais sur le point d'abandonner proprement la traque après autant d'efforts inutiles - est-ce que j'ai pas déjà croisé ce rocher au moins trois fois en tournant en rond? j'en suis presque sûr - et elle m'amène immédiatement l'eau à la bouche. Lapin, hurle mon cerveau. Manger, a hurlé mon estomac, qui par une raison inconnue a le contrôle sur ma capacité à saliver et me le fait comprendre. Je me suis léché les babines en remontant la piste, trottinant et réfrénant mon envie de partir en courant vers l'origine de cet appétissant fumet, la queue battant d'excitation. Ils sont là, dans une petite clairière de terre ferme, à roupiller paisiblement. Paisiblement est un grand mot, vu comment ils semblent sur le qui-vive, mais en tous cas, assez somnolents pour que j'aie une chance avec eux...
Je me suis accroupi au niveau du sol, les oreilles frétillant de hâte à l'idée de mordre dans un lapin pour moi tout seul, avant de mettre toute ma concentration dans le fait d'avancer mes pattes le plus précautionneusement possible. Droiiite... Gauuuche... C'est atroce, une telle attente. Mais ils ne m'entendent pas, pas encore... Quelques mètres, ça suffira. J'ai senti un filet de bave le long de ma babine en m'arrêtant enfin. J'ai choisi ma cible. Celui-là, le brun, fera un excellent casse-croûte. J'ai bondi.
Pas du premier coup, hein, sinon ça serai triste. Je me suis retrouvé à sauter de nouveau au milieu des lagomorphes terrifiés courant en tous sens, vers mon futur repas qui a l'air d'avoir percuté que je le visais, vu ses mouvements désordonnés. Fini le calme relatif de mon approche silencieuse, bienvenue à "attrapez le lapin le plus proche de vous comme vous pouvez", et j'essaie désespérément d'ignorer les autres petits mammifères autour de moi. Si je cède et que je cherche à en attraper un, je vais tout perdre. J'ai ma proie qui bondit frénétiquement devant moi, je ne perdrais pas l'attention sur elle... Je finis par abandonner l'idée de lui sauter dessus pour la courser pour de bon, par dessus les racines, les troncs couchés, les étangs, et je souris en me rendant compte que mon entraînement dans ce milieu a fini par payer. Il fatigue, le bougre, et éviter les obstacles le ralentit considérablement. Je me sens presque à l'aise ici, à bondir au milieu des éclaboussures à chaque point d'eau que je traverse, à zigzaguer entre les arbres et à voir le derrière blanc de ma proie qui se rapproche inexorablement.
Les autres ont disparu depuis longtemps, et il n'est plus qu'à quelques foulées. Allez, j'y suis presque! Je manque de glisser sur une racine un peu traître, et il en profite instantanément pour reprendre de l'avance. Je t'aurais, inutile de repousser l'inévitable fin... Il est taillé pour le sprint, pas la course d'endurance, et il fait de plus en plus d'erreurs. Après ce point d'eau, je peux l'avoir, j'en suis sûr. J'ai bandé tous mes muscles - enfin tous ceux qui servent à sauter - avant de bondir, de toute la force dont je suis capable vers ma proie. Fourrure sous mes griffes, et l'excitation à son paroxysme - j'aurais souri d'excitation si ma gueule n'était pas grande ouverte, tous crocs en avant, vers l'innocent lagomorphe. Claquement de mâchoire, sang le long de mon palais, et le corps inerte sous mes pattes. Game over.
Dernière édition par Rion le Ven 29 Juin - 23:16, édité 1 fois
J'ai dévoré en entier le lapin sans réfléchir, avant d'aller m'effondrer sur une pierre pour digérer. Quand j'ai rouvert les yeux, il faisait nuit, et mon estomac criait de nouveau famine. Non sans un profond sentiment de satisfaction. Tout ceci se passe presque bien, jusqu'ici...
C'est reparti pour la recherche interminable, je songe en m'étirant. J'ai quelques courbatures, après autant de marche et de course hier, mais je me sens plutôt bien. Prêt à traquer, prêt à tuer. Pour le second, on argumentera que je le suis toujours, mais eh, faut bien que je me motive avant de partir... Peut-être que les lapins sont revenus, d'ailleurs. Je repose mon museau au sol, près des traces de sang à peine effacées de mon dernier meurtre, pour remonter la piste - je serais bien incapable de le faire de mémoire après une course pareille - attentif à tout mouvement ou bruit suspect que me rapporteraient mes sens. Les marais de nuit sont encore plus flippants que de jour, je constate en jetant quelques coups d'oeil au monde autour de moi. La lune projette des ombres à la forme inquiétante sur chaque surface un peu plane, et les arbres tordus semblent autant de monstres en embuscade. C'est perdu dans mes pensées que j'arrive près du lieu de ma dernière trouvaille, pour constater leur absence absolue. Et, au vu de l'odeur un peu effacée, ils ne sont pas revenus depuis. Une triste perte. Pas spécialement étonnante au vu du dernier massacre que j'ai perpétré contre leur petite troupe.
Bon, me retrouvant sans plus aucune piste à exploiter, je vais devoir me remettre à chercher de façon totalement aléatoire. L'idée m'ennuie d'avance. Dans le noir, et la fraîcheur de la nuit qui plus est, ça me semble aussi tentant que de tourner en rond autour d'un arbre pendant des heures. Allez, un peu de courage, je me martèle en sautillant sur place pour me motiver et réveiller mes muscles encore endormis. Tiens, en parlant de réveiller mes muscles, en voilà une idée... J'ai avisé le terrain autour de moi avant de partir en courant d'une foulée ample vers un terrain opposé à celui que j'ai exploré précédemment. Un petit footing en revenant à la vie, quelle bonne idée pour garder la forme et la motivation de chasser! Au moins, me concentrer sur les obstacles devant moi me force à garder les yeux ouverts et occupe un peu mon esprit sous-stimulé.
Ce qui est une promenade de santé en plein jour est un vrai enfer en pleine nuit, je constate en évitant au dernier moment un arbre penchant de façon particulièrement menaçante sur mon chemin. Puis une branche qui essaie de me crever un oeil. Puis un trou d'eau où se reflète la lune, éclatante au milieu d'une telle obscurité. Je ne rate d'ailleurs pas le prochain, en glissant brusquement le long de la berge pour aller m'écraser contre la surface, surpris et confus. Il faut un temps de réaction à mes muscles paralysés par le froid subit pour se réactiver, après quoi mes pattes battent l'eau avec régularité, comme je m'y suis entraîné des tas de fois maintenant. La tête juste au dessus de l'eau, je lâche un couinement de surprise en rencontrant l'autre rive, et ne perd pas de temps pour y grimper avant de reprendre ma course, après m'être ébroué le plus vite possible.
L'eau dégouline toujours le long de mon pelage quand un bruit attire mon attention, et je m'arrête net pour l'entendre. Rien. J'ai rêvé ? Non, me dit le son en se répetant. Un bruit d'éclaboussures plus qu'intéressant, trop faible pour être une bestiole dangereuse - mon dernier souvenir d'une bête aquatique vient tout juste de se rappeler à moi en reconnaissant la source de ce genre de sons. Assez fort, ceci dit, pour que je le perçoive quand même, et mes yeux habitués à la pénombre n'étant pas suffisants pour y voir quoi que ce soit dans cette forêt, j'oriente mes oreilles à plusieurs reprises avant d'en capter la source. Une petite mare au clair de lune, qui s'étend en un bras de rivière mort entre les arbres. Et un poisson, au milieu, occupé à avaler les mouches imprudentes qui s'approchent un peu trop de la surface. Le prédateur va devenir proie, je songe en m'approchant, réfléchissant avec plus ou moins d'efficacité à comment ne pas l'alerter de ma présence. Qu'est-ce que je sais sur les poissons, moi? L'ombre, en pleine nuit, il la verra pas. Le bruit, sous l'eau, non plus...
Les vibrations, je songe en le voyant s'enfuir. Je savais que j'oublierais le plus important. Je n'ai pas vraiment réfléchi avant de me jeter à sa poursuite, mi-terrifié à l'idée qu'il puisse s'enfuir mi-enragé contre ma propre stupidité. Quête un peu désespérée, certes, mais ça ne m'empêche pas de me jeter dans l'eau de toute la force de mes pattes arrière avant de pagayer comme un fou dans sa direction, le museau à peine au dessus de la surface. Je sens quelque chose passer entre mes pattes - peut-être un autre, vu la distance à laquelle il doit être - et mon instinct réagit avant mon intellect pour plonger brusquement la tête sous l'eau la gueule grande ouverte. Clac, ont fait mes mâchoires sous l'eau, dans le vide - enfin, du coup, c'est relatif, hein - mais en tous cas assez violemment pour me faire paniquer en constatant le volume d'eau qui vient de pénétrer mes poumons. Et merde. Je me suis traîné sur la berge, toussant et crachant comme un fou, la gorge en feu et un sale goût de marais en gueule. Quelle bonne idée, ça, Rion, on peut dire que t'as bien réfléchi avant d'y aller, celle-là.
Vraiment furieux contre moi cette fois, j'ai repris mon souffle avant de parcourir les environs du regard, à la recherche d'une autre idée pour attraper mon précieux petit poisson. Peut-être que je peux lui faire peur à nouveau ? J'ai tapé comme un fou contre l'eau, avec mes pattes avant et arrière - maximisons nos chances - dans l'espoir d'apercevoir une ombre bouger, avant de comprendre que ça ne servirai à rien. Oh, foutu poisson, toi quand je t'aurais, tu vas regretter ça... Où est-ce qu'ils ont pu se réfugier? Dans les rochers autour, sûrement. Idée suivante, déloger des cailloux pour leur ficher une trouille bleue à l'idée que leur cachette s'effondre sur eux. Ca me semble douteux, mais c'est toujours une idée.
Je me suis arc-bouté contre un rocher un peu désolidarisé, inspirant un grand coup avant de pousser avec toutes mes maigres forces. Rien ne s'est passé un moment, un long, très long moment du point de vue de mes muscles surexploités, brûlant sous l'effort, avant qu'un étrange son ne résonne brusquement dans les environs et que l'eau ne s'infiltre brusquement dans la faille ainsi libérée. Une profonde satisfaction s'est emparée de moi en bondissant de nouveau dans l'eau, et en sentant quelque chose d'écailleux me frôler. Non, cette fois tu ne t'en tireras pas comme ça, mon vieux. Je me suis jeté en avant de tout mon poids, en essayant de le bloquer, et l'excitation bien familière de la chasse est revenue en le voyant émerger à la surface pour échapper aux remous en profondeur. J'ai ouvert grand la gueule pour y mordre, sentant la victoire s'approcher. Quelque chose a fait résistance sous mes crocs, et j'ai serré par réflexe - il s'est avéré que c'était un mauvais réflexe. Il glisse vite hors de ma prise, et un mélange de colère et de désespoir remplace vite la presque satisfaction de mon esprit. Merde!
L'idée suivante a fusé dans mon cerveau à la vitesse de l'éclair. Si tu veux l'avoir, c'est tout ou rien. J'ai bandé mes pattes arrière contre le fond avant de me projeter en avant avec toute la puissance que je suis capable de donner. Bam, a fait ma truffe contre le crâne du poisson, et je n'ai pas refait la même erreur en assurant ma prise avant de serrer. Il s'est mis à se débattre comme un fou entre mes mâchoires précautionneusement serrées, et je me suis dépêché de le traîner sur la rive. Il n'est pas bien gros, mon repas, mais après tous mes efforts, je ne vais pas faire le difficile...
Toujours aussi élégantes et bien planifiées, tes chasses, mon Rion, je songe en l'assommant contre un arbre avant de planter mes crocs dans son cou. Et ne reposant pas du tout sur une chance absolument absurde et tes réflexes ridicules.
Dernière édition par Rion le Sam 30 Juin - 0:20, édité 1 fois
Quand je suis revenu le lendemain, de façon assez étonnante, je n'ai pas eu à chercher bien longtemps avant de trouver une odeur fort intéressante. Une chouette odeur de blaireau qui réveille tous mes sens de prédateur quand je remonte sa piste, à l'affût du moindre petit signe de sa présence proche. Et, de façon similaire, je n'ai pas à chercher bien longtemps avant de le trouver en plein milieu d'une clairière à peu près sèche, lui-même en pleine chasse.
Je me plaque au sol dès qu'il entre dans mon champ de vision, prudent, salivant devant la quantité de viande qui s'offre à moi. Un si beau repas qui s'annonce... Manger un autre prédateur n'a jamais été une action étrange, me concernant. Mort, c'est une proie comme une autre, quoique souvent plus grosse, et largement plus intéressante qu'un pauvre rat décharné attrapé entre deux bâtiments écroulés. Ca se défend peut-être bien mieux que le petit rat, mais après autant de bagarres aux quatre coins de la région avec mes grands amis lupins, ce n'est pas un misérable petit blaireau qui va me faire peur.
Trop concentré sur sa propre proie, il ne m'entend pas m'approcher jusqu'au moment où je lui bondis dessus - et le grondement qu'il pousse en comprenant ce qui vient de se passer résonne avec une telle hargne entre les arbres qu'il m'en aurai stoppé au moins une demi-seconde dans mes mouvements si je n'avais pas été aussi excité par l'idée de lui arracher un bon bout de gorge de façon la plus rapide possible. Je roule aux prises avec lui sur quelques mètres avant de réussir à attraper une de ses pattes de façon durable, à serrer comme un fou pour sentir le sang affluer sous mes crocs, et de me déplier brusquement en prenant appui sur la première chose à portée de mes pattes pour le balancer sans cérémonie dans le décor. Il hurle en percutant l'arbre juste derrière moi, mais gagne quelques secondes de répit quand je me rends compte que "la première chose à ma portée" est un excellent moyen de me retrouver en train d'essayer de me relever sur de la mousse humide, et que je n'ai pas le temps d'y trouver une alternative avant de m'écraser lamentablement juste à côté de lui.
Il n'a pas l'air bien combatif, le petit carnivore, et malgré la violence du choc il ne se passe pas bien longtemps avant qu'il ne commence à prendre la fuite. Plus vite que moi, en tous cas, vu le côté totalement désordonné de ma ridicule tentative de l'arrêter dans son élan. Je réussis malgré tout à tomber de tout mon poids de nouveau sur lui, et je claque des mâchoires à plusieurs reprises pour tenter de le retenir de repartir de plus belle. Mais sa peur de mourir est plus forte que mon envie de vaincre, et il finit par se dégager avec une force qui me surprend pour une si petite bestiole. La dernière attaque que je réussis à mener contre lui l'envoie bouler à plusieurs mètres de nouveau, et il esquive de peu une morsure fatale avant de disparaître sous une racine idéalement placée. J'aurais dû réfléchir et ne pas y foncer tout droit moi aussi, vu que je manque de m'y retrouver coincé, à le regarder partir en courant avec sa patte ensanglantée - cette blessure est bien moins profonde que ce que je pensais, au final - définitivement hors de ma portée quand je parviens enfin à force de tortillements à me dégager de la prise de la traître racine.
Le temps de reprendre mon souffle et de m'ébrouer, et c'est une frustration sans nom qui m'envahit. Quel raté misérable! Enfoiré de bestiole de m... Je me suis figé en entendant un petit bruit de grattement derrière moi. La proie de ma dernière cible, qui tente de profiter de cette distraction fort opportune pour sauver sa peau de façon héroïque. C'est un petit mulot, qui tente de se dégager d'un trou creusé à la hâte entre les racines, et qui, au vu de la quantité de terre qui l'entoure, a été copieusement saboté par mon ami le blaireau pour attraper son occupant. Je n'ai pas réfléchi avant de me jeter dans sa direction, et lui de retourner aussi vite qu'il en est capable dans son abri.
Je cherche pendant quelques instants une stratégie pour l'en faire sortir avant de songer que ça serai bête de laisser les efforts de mon prédécesseur inachevés si je peux en profiter. Ni une ni deux, et juste le temps de planter solidement mes pattes arrière dans le sol avant de me mettre à labourer la terre entre les racines de toute la force de mes misérables muscles. Droite, gauche, après autant de pratique à ça je ne mets pas bien longtemps à imprimer le rythme dans mes mouvements et la terre vole par grandes projections dans mon dos au fur et à mesure de mon avancée. Je finis par buter sur une autre racine, et mes pattes ont droit à un instant de répit pour leurs griffes douloureuses quand je cherche un moyen de la contourner, avant de me faire la remarque qu'elle n'a pas l'air bien épaisse non plus. Quelques secondes de mâchonnement, de coups de crocs et de mobilisation des muscles de mon cou pour la tirer en arrière, et je recrache un bout de racine rongée en assez peu de temps, avant de reprendre mon excavation.
Ca ne doit pas être son véritable abri, vu le manque de profondeur du trou, et je ne mets pas plus longtemps à atteindre ma proie - une aubaine pour mes muscles qui réclament désespérément une pause après un exercice aussi physique. Il tente de s'enfuir, tout naturellement, et tout naturellement également, il ne me faut que quelques morsures pour le tuer pour de bon, malgré ma fatigue. Je ne peux pas m'empêcher de me sentir plus que frustré en constatant la taille de ma prise finale. Dire que j'allais attraper un blaireau... Ce mulot fait vraiment misérable, en comparaison.
Dernière édition par Rion le Mar 17 Juil - 14:45, édité 1 fois
J'erre un bon bout de temps de nouveau avant de trouver quoi que ce soit d'autre de comestible. Ou même à peine mangeable, je suis pas difficile, après tout, pas comme si j'en avais les moyens. Alors, quand les traces fraîches d'un troupeau de chevreuils finissent par apparaître, je ne tergiverse pas bien longtemps avant de me jeter sur leur piste. Je suis sûr qu'ils ont un petit malade, un vieux chétif, un infirme boitillant dans leur groupe. Quelqu'un dont ils ont fort envie de se débarrasser... Aucune raison que ça se finisse aussi mal que la dernière fois, donc.
Non, absolument aucune.
Je dois quand même me faire une sacrée trotte pour les rattraper, et quand ils sont enfin en vue, je sens à peine mes pattes d'avoir autant pataugé dans les marais et la flotte pour ne pas risquer de perdre leur précieuse piste. Ils ont des jeunes. Première bonne nouvelle. Ils ont des jeunes et ont tous l'air très affaiblis. Seconde bonne nouvelle. Je rampe doucement jusqu'à eux, les muscles bandés à en craquer. Il y a une odeur étrange pas loin, d'ailleurs... Pas important. Si je me déconcentre, il ne leur faudra pas plus d'une demi-seconde pour remarquer ma présence. Ce n'est pas une chasse ordinaire - ils sont au moins une dizaine, une dizaine de paires d'oreilles et d'yeux attentifs, entraînés toute leur vie à garder en tête que la moindre distraction pourra leur coûter la mort. Il est hors de question que j'émette le moindre petit craquement de brindille, si je veux espérer en attraper un... Lequel viser? Si je ne garde pas mon attention vissée sur l'un d'eux, ça risque de très mal se terminer. Le faon, là, très près de moi. C'est sa mère, qui le colle comme ça? Vu l'état de sa patte, elle non plus n'ira pas bien loin.
Je suis toujours en train de réfléchir à un moyen de les faire se disperser quand une boule de poil roux et brun bondit sans cérémonie en plein milieu du troupeau, non sans me faire sursauter sur au moins un mètre. Qu'est-ce que c'est que ce truc? Un lynx, je réalise en le voyant partir en grandes foulées vers la mère boiteuse, et il n'en faut pas plus à mes pattes pour réagir d'instinct en le suivant. Un foutu lynx. Un foutu lynx qui devait me suivre, moi et mes misérables restes de proie. Vu son état de maigreur avancée, ça explique son intérêt pour le peu de viande qu'il reste aux os que je laisse derrière moi. Pourquoi attaquer un troupeau de chevreuils de façon aussi imprévue? Pas le temps de se poser la question. Mes muscles protestent vivement quand je me retrouve à courir comme un dégénéré derrière lui, les chevreuils affolés courant de partout, à droite, à gauche, et j'en évite au moins deux au dernier moment avant de devoir reprendre ma course poursuite. Par dessus des racines, sous des arbres tombés, sautant des étangs entiers, glissant, sprintant. Il a un rythme effréné, ce chevreuil - et le félin qui le suit avec. Quelle distance je finis par parcourir au final, à courir derrière ma proie et l'allié inattendu qui m'est apparu en pleine chasse, c'est une excellente question, mais "beaucoup" est une estimation encore bien faible au vue de la douleur dans mes muscles quand il semble enfin qu'ils ralentissent un peu.
Ahanant et soufflant, je finis par me retrouver à son niveau, uniquement pour constater qu'il a l'air encore plus au bout du rouleau que moi. J'oubliais presque que ce genre de bestioles n'était fait que pour le sprint, pas la course d'endurance - contrairement à moi. Un sourire se serai étalé sur mes babines si toute ma gueule n'était pas occupée à ventiler avec le plus d'efficacité possible mes muscles surexploités. Peut-être a-t-on réellement une chance, au final... Je puise le peu de force qu'il me reste pour accélérer de nouveau, non sans surveiller le prédateur du coin de l'oeil - il serai capable de me considérer comme une excellente proie de remplacement, cet enfoiré - avant d'atteindre quelques minuscules mètres de distance entre moi et le cervidé. Quelques mètres entre moi et ce repas de taille si monstrueuse. Quelques mètres et une garantie de nourriture sur tellement de temps. Quelques mètres...
Cette idée ne fait que renforcer la quantité d'adrénaline qui pulse dans tout mon sang, et je ne sais pas vraiment comment je fais pour trouver l'énergie pour le rattraper pour de bon. Il bondit d'un tronc, se réceptionne maladroitement, manque de trébucher et de s'écraser par terre, et l'occasion me semble trop belle. Je bande mes muscles pour gagner le haut du tronc, et de là, il ne me faut qu'un bond de plus pour me retrouver en plein sur son dos, à planter mes crocs dans son échine. L'atterrissage est brutal, et je le sens s'ébranler tout entier en sentant ce poids nouveau sur son dos, projeté sur lui avec la force de toutes mes pattes arrière. Les griffes incrustées dans ses flancs, et tout mon corps mobilisé pour garder ma position le plus longtemps possible. Il brame, hurle, geint, et il se débat à s'en épuiser lui-même. Ne pas lâcher prise est une épreuve sans nom - mais bien faible en comparaison au coup de peur qui m'envahit subitement en le voyant converger vers un arbre noueux pile à la bonne hauteur pour se débarrasser d'un parasite un peu picotant sur le dos. Je me projete à terre juste à temps pour l'éviter, et il percute le tronc non sans une certaine violence, avant d'essayer de s'enfuir de nouveau en titubant.
Je me prépare à l'attaquer de nouveau, épuisé et un peu assommé par la rencontre avec le sol, malgré la menace grandissante de ses sabots acérés, avant que mon allié temporaire ne se rappelle à moi en jaillissant d'un buisson. Il se suspent à sa gorge, ses griffes bien plus imposantes que les miennes traçant de larges sillons sanglants le long de son cou et de ses épaules alors qu'il tente de l'étouffer de sa patte libre. Je reste sidéré un moment avant de trouver le courage de tenter un autre assaut sur son arrière-train. Ce qu'il ne manque pas de remarquer, et de m'en dissuader d'un bon coup de patte que j'évite de peu en même temps qu'il essaie de déloger le félin à coups de grandes ruades ponctuées de ses cris de douleur. Et, malgré la puissance de ses pattes hérissées et ensanglantées du liquide vital du chevreuil, le lynx finit par lâcher prise avant de décamper entre les arbres. Et je ne comprends pas exactement pourquoi avant d'entendre un galop impressionnant derrière moi - et de partir en courant dans sa direction sans réfléchir quand le reste du troupeau déboule vers ma position, le mâle et ses menaçants bois en tête du groupe.
Cours, cours, cours pour ta peau, abruti! ça hurle dans mon crâne quand je me retrouve à sprinter presque encore plus vite qu'en poursuivant l'autre proie, avec pas un seul de mes muscles galvanisé par la peur. De nouveau en terrain inconnu, à bondir par dessus les troncs, zigzaguer entre les arbres en espérant lui faire perdre du temps et gagner de l'avance. Je ne m'arrête que longtemps après ne plus entendre les pas lourds et tonnants de mon poursuivant, haletant, tremblant de tout mon corps meurtri par cette double course épuisante. Pour me rendre compte que le félin, qui est encore plus exténué que moi, m'a effectivement suivi dans l'espoir que je représentais son meilleur espoir de survie face à un troupeau de chevreuils enragés - il ne doit pas non plus être très malin, lui non plus. Il a l'air blessé à la patte arrière, vu comment il la garde au dessus du sol. Je manque de me laisser m'effondrer au sol, et je l'aurais fait si il n'y avait pas un prédateur notoire et terrifiant juste à côté de moi. De toute façon, de nous deux, c'est celui qui a le plus de raisons de tomber de fatigue...
Pensé-je avant de bondir brusquement hors de sa portée en entendant un rugissement de colère avant de sentir le déplacement de l'air sur le chemin de son coup de patte, toutes griffes dehors. Il est fou de rage d'avoir raté sa chasse de façon aussi stupide, on dirai. Il feule, crache, hurle en fendant l'air devant moi, encore et encore. Je lui aurais bien expliqué que me découper en petits bouts n'était pas la meilleure des façons de trouver un remplacement à son repas perdu, mais je ne suis pas sûr que m'asseoir pour parlementer avec lui ne soit une bonne idée non plus vu son état actuel. Tout ce que mon cerveau à peine encore capable de fonctionner trouve à faire, c'est esquiver, esquiver encore, coup de griffe sur coup de pattes, et son épuisement se voit bien dans chacun de ses mouvements. Qu'est-ce qu'il espère, me vaincre malgré ses blessures, sa faiblesse de manger si peu et sa fatigue après une chasse ratée pareille? Cette pensée me redonne le courage de grogner à mon tour, les poils hérissés, avant de profiter d'une autre de ses attaques pour bondir sur son côté droit et le renverser de toute la force que je suis capable de mettre dans mon épaule. Il vacille, titube, et je recule de nouveau hors de sa portée - heureusement pour moi, vu combien je viens de l'énerver encore plus. Et vas-y que ça gronde, ça feule avec toute la force de sa voix rauque en se jetant sur moi de nouveau. Ca ne sert à rien, je songe en m'écartant de nouveau de quelques mètres, et en cherchant un moyen de le fuir de façon efficace.
J'ai avisé l'étang d'eau derrière moi avant de faire brusquement volte-face pour y plonger, toutes pattes écartées et les yeux fermés en attendant le choc avec l'eau. Le bruit de toute la flotte que j'ai déplacé en percutant la surface couvre un temps son vacarme de fou furieux, et je n'attends pas bien longtemps avant de me mettre à pagayer de tout le peu de force qu'il reste à mes pauvres pattes endolories. Il ne me suit pas, je constate, avant d'étirer un sourire. Il ne me suit pas! Je grimpe sur la rive voisine avant de m'ébrouer, en étirant un large sourire provocateur. « Alors quoi, mon grand, t'as la flippe de trois gouttes de flotte? » je lui hurle, non sans savoir pertinemment qu'il ne me comprend pas, mais c'est bien trop jouissif de titiller sa rage sans nom alors qu'il ne peut pas m'atteindre. Il gronde, tourne en rond, me regarde comme si il voulait me voir souffrir mille morts avec supplément torture sans fin, frustré jusqu'au bout des griffes. « Mister Chaton a peur de l'eauuu! HAHA! » Et moi de le narguer de tout le langage corporel félin que je connais - très peu, mais de toute façon, il y a peu de chances qu'il essaie seulement de le décrypter - et de m'agiter comme un fou, le ridicule de la scène coupant temporairement court à ma fatigue. Il m'envoie le dernier de ses regards noir foncé avant de faire demi-tour pour partir en courant, disparaissant entre les buissons.
Je jubile encore un temps avant que mon épuisement ne se rappelle à moi. Et aucune proie d'attrapée, cette fois... Je me traîne jusqu'à une souche, les membres douloureux, pour m'y avachir en vérifiant à peine la présence d'un prédateur alentours avant de fermer les yeux. Ventre creux ou pas, je n'ai pas besoin de beaucoup d'aide pour m'endormir comme une masse après une traque pareille.
Dernière édition par Rion le Mar 17 Juil - 20:03, édité 1 fois
Ca fait très, très longtemps que je n'ai pas aussi bien dormi d'une seule traite, et vu l'effort fourni juste avant, ça n'est pas spécialement étonnant. J'ai des courbatures partout, maintenant, mais j'ai vécu pire - des blessures partout - et j'ai bien assez de repos pour repartir. J'ai passé toute la matinée à flâner et à somnoler, les sens aux aguets quand à la présence de mon cher allié aux alentours, en attendant que les crampes descendent à un niveau acceptable pour la chasse, et je le considère plus qu'acceptable désormais.
Bon, ça n'est pas aujourd'hui que je vais prendre ma revanche sur le chevreuil non plus, quoique ça aurai pu être un plan très intéressant au vu de l'état où on l'a laissé, le lynx et moi - je me demande si il est encore seulement en vie, ou capable de suivre son groupe. Mais j'ai assez de chevreuil pour un bout de temps, et je m'éloigne du lieu de ma dernière chasse en partant en trottinant le long de l'étang qui a sauvé mon intégrité physique hier soir. Je me sens étonnament optimiste, après un raté aussi monumental. Je suis sûr que je peux attraper quelque chose aujourd'hui... De toute façon, j'ai intérêt, vu la faim qui me tord le ventre. Ca n'est pas un mulot tous les deux jours qui va me tenir.
La première prise - probablement la seule vu ma chance - de la journée s'annonce finalement à moi après une petite course d'obstacles improvisée pour faire passer le temps. Mon sautillement maladroit sur quelques racines un peu proéminentes est brusquement interrompu par l'odeur du sang, et celle d'un lapin apeuré. Mais que voilà une merveilleuse aubaine... Je retiens la salivation le long de mes babines en me mettant en route vers l'origine de cet appétissant fumet, à l'idée d'un repas enfin bien mérité.
Je n'erre pas longtemps avant de l'apercevoir enfin. Tout seul au milieu de cette clairière, qui semble presque l'écraser de sa grandeur. Il a une patte toute ensanglantée, et ça semble, de loin, quelque chose comme une griffure. Après l'incident d'hier, qu'une raison de plus de rester sur mes gardes... Quoi qu'il en soit, je ne peux que voir ça comme un avantage, de façon immédiate, vu comment il boitille en avançant le long des racines, le museau frémissant. Je n'ai pas attendu avant de me jeter vers lui, sans vraiment imaginer la moindre possibilité d'échec au vu de son membre blessée. J'aurais peut-être dû, je songe en atterrissant dans le vide et en le voyant passer derrière un arbre. Ou au moins prévoir un peu plus la suite des événements...
Pas le temps de te morfondre, abruti, hors de question qu'il ose s'enfuir. Je bande de nouveau mes muscles pour bondir à sa poursuite, et je vois le bout de sa queue disparaître encore une fois en le cherchant du regard. Cet idiot veut faire le tour de l'arbre... Je le suis sur la racine où il prend appui, puis en franchissant d'un autre saut la branche basse sous laquelle il vient de passer. Puis à nouveau autour du tronc, avant de devoir faire volte-face brusquement en me retrouvant face à un bout de bois inanimé en lieu et place de ma proie qui en a profité pour sortir de mon champ de vision. Il finit par sprinter sur une ligne droite où je manque de le rattraper avant de virer brusquement à gauche, et mes crocs de se refermer dans le vide à quelques centimètres de lui. Je repars de plus belle en retenant le début de grondement de frustration qui menace de faire vibrer ma gorge, de saut en saut, en esquivant à nouveau tous les obstacles naturels qui me séparent de cet idiot. Droite, gauche, saute, vise-le encore et rate toi misérablement. Et je ne sais pas par quel miracle je finis par me retrouver avec un lapin frétillant de peur sous mes pattes, que je me dépêche d'achever. J'ai le sentiment que cette course-poursuite a duré des heures. Objectivement, une fraction d'instant seulement, mais il faut croire que mon cerveau se révèle étonnament rapide quand de la bouffe est en jeu.
Je m'asseois un moment, le temps de reprendre mon souffle et de grogner à l'attention de la douleur dans mes muscles qui ose se réveiller alors que les choses deviennent intéressantes. Et si il en restait, ailleurs? L'idée fuse dans mon cerveau pour y prendre toute la place, après une traque aussi réussie. Si il en restait, de là où il vient et s'est blessé, très récemment au vue de l'état de sa fraîche blessure, d'autres lapins comme celui-là... Mon repas va attendre, en fait. Je l'ai enterré à la va-vite avant de partir en trottinant le long de la piste qu'il a créée. Remonter une piste à l'envers a quelque chose de très étrange, à la réflexion. L'odeur n'est pas assez vieille pour s'effacer, mais pas loin de. Je marche un bout de temps avant de sentir enfin le sang, et une autre odeur, que je peine un instant à reconnaître. Pas à défaut de l'avoir sentie récemment...
Le lynx. Ca a jailli dans mon crâne quand j'ai compris à qui elle appartenait, non sans quelques bonnes secondes de réflexion intense. Mes pattes ont réagi avant moi en repartant en courant à en perdre haleine vers le lieu de ma précédente prise. Une trace de griffure. Je suis définitivement un idiot. J'ai l'impression d'avoir mal à chacune des cellules de mon corps en bondissant par dessus des obstacles que j'ai contourné il y a seulement quelques minutes, sautant, courant, sprintant sur chaque terrain à peu près plat que je rencontre à en perdre haleine. Et en arrivant de nouveau dans la petite clairière, effectivement, je risque de payer cher mon manque terrible de logique simple, vu la disparition toute récente de ma jolie proie.
Enflure, ça hurle là haut quand je me jette de nouveau vers la source de la sale odeur rance du félin voleur. Enflure, raclure, sale rebut tout juste bon à se faire bouffer par les corbeaux après avoir moisi une semaine entière dans ces foutus marais. Je finis par l'apercevoir très vite, MON lapin en gueule, à trottiner nerveusement entre les troncs pour s'éloigner le plus possible du canidé qui risque un certain énervement envers lui vu le crime qu'il vient de perpétrer. Il remarque ma présence un chouïa trop tard - j'ai l'élan de ma course folle avec moi, et lui la faiblesse de ses carences nutritives contre un départ assez rapide pour m'échapper. Mon grondement sauvage est à peine stoppé par le brutal choc avec son flanc, puis par la sale morsure que je lui inflige une fraction de seconde plus tard. Il roule au sol sur plusieurs mètres - et moi avec - avant de réussir à se relever, non sans y gagner une autre estafilade de ma part. Il était énervé, hier? Il va voir ce que moi je peux être, énervé! J'ai hérissé tous mes poils à presque les sentir sauter de ma peau, les babines retroussées à l'extrême et toutes les parties de mon corps déjà bien atteintes de mes tics répétés qui s'agitent frénétiquement à tout va.
Je crois que je lui fais peur, vu comment il recule maintenant. Il a enfin lâché ma proie, qui gît entre nous deux comme un trésor inestimable que deux puissants rois se disputeraient - laissez moi bien un peu d'imagination. En même temps, je dois paraître bien dégénéré, dans l'état où je suis. J'ai hurlé un autre coup avant de me jeter de nouveau sur lui tous crocs avides de sang, et il l'esquive de peu au prix de la perte de son peu de dignité - il a plaqué ses oreilles sur son crâne, franchement effrayé cette fois. On fait moins le malin, maintenant, enfoiré. Il a l'air jeune, maintenant que je le vois de près sans qu'il ne ressemble à une boule de nerfs fou de rage. Ce qui doit expliquer sa bravoure - ou son inconscience, surtout - à attaquer seul un troupeau entier de chevreuils, et combien il est passé d'incroyablement colérique à effrayé et impressionnable en seulement un jour - il ne doit pas avoir connu beaucoup d'hystériques comme moi, à la réflexion. Il boite toujours d'ailleurs, sa blessure a l'air plutôt sérieuse au final. Une aubaine me concernant, et je claque des mâchoires vers sa direction, aussi menaçant que je suis capable de l'être. Il feule sans conviction pour me faire reculer, non sans quelques coups de pattes plus ou moins défensifs, avant d'abandonner la lutte et de détaler devant moi. Il n'en faut pas franchement plus pour exciter de nouveau mon instinct de prédateur et partir à sa poursuite sur quelques bonnes centaines de mètre, avant que la fatigue et l'inutilité franchement apparente d'une telle démarche ne finissent par me ralentir et m'arrêter pour de bon.
Et puis, j'ai un lapin à déguster, maintenant, je songe en retournant en arrière, sans pouvoir m'empêcher d'accélérer à l'idée qu'un autre prédateur aie lui aussi des vues sur ma proie. Je l'aurais mérité, ce repas, moi. Après avoir mis un jeune lynx en déroute, mon estomac se rappelle à moi en profitant avec allégresse de la faille dans mon cerveau que cause mon disproportionné sentiment de victoire - eh, je n'ai pas beaucoup fait ce genre de choses dans ma vie...
Dernière édition par Rion le Mer 18 Juil - 0:46, édité 1 fois
Traquer, poursuivre, tuer, déchiqueter. Recommencer. Mais je crois que malgré sa répétitivité sans fin, je m'y améliore quand même, à cette idiotie qu'est la chasse. Fin de l'étape une pour cette journée; c'est une odeur toute fraîche de raton-laveur qui recouvre la puanteur du marécage.
Trottiner à travers les bois tordus, par dessus les racines proéminentes et dessous les branches traînantes. Me tapir au sol quand le faible vent qui daigne agiter l'air stagnant des marais me ramène son odeur tout près, et ramper précautionneusement vers ma cible. Il est là, dans un tas de branches curieusement entremêlées, à s'agiter et s'exciter comme un fou de tout son corps frétillant, à l'affût du moindre bruit. Il se fige quand je me rapproche, et je n'ai qu'une demi-seconde de réflexion avant qu'il ne détale aussi sec. Il y a une drôle d'odeur dans l'air...
Je m'élance à sa poursuite dès que je le vois entamer sa fuite, mes muscles brusquement sollicités après une immobilité si parfaite se plaignant aussi vite que mes pattes foulent maintenant le sol marécageux. Une foulée, deux foulées, dix foulées, il disparaît derrière un tronc à ma droite. Je manque de me ramasser, effleurant du museau des herbes basses en virant brusquement dans sa direction, pestant contre les quelques mètres qu'il a réussi à mettre entre moi et lui. La gueule grande ouverte et affamée de sang, de sang de ce foutu raton laveur - il accélère brusquement en sentant mon souffle sur son dos. Sa panique dans l'air. Chacun de mes sauts qui me rapproche de la fin de son existence. J'ai enfin refermé mes crocs sur sa queue, arrêtant brusquement sa course. Mes pattes ripent sur le sol sur un bon mètres en stoppant mon élan - et le sien - avant de le tirer vers moi aussi fort que l'autorisent mes propres muscles.
Ses petites griffes manquent de peu mon museau, et je n'attends pas bien longtemps pour le plaquer au sol de toute ma force avant de refermer mes crocs sur sa nuque. Et de la sentir craquer dans un bruit aussi ignoble que réjouissant, le sang giclant contre mon palais. Un raton-laveur. J'ai tué un raton-laveur! Il est énorme. Enfin, par rapport aux mulots que je mange d'habitude, surtout. Et j'en salive déjà, et j'aurais déjà plongé mes crocs au plus profond de ses entrailles si ce n'était l'odeur de tout à l'heure qui se rappelle à moi. Je l'ai attrapé entre mes mâchoires pour repartir vers le début de ma course poursuite, intrigué.
Toujours ce gros tas de branches, et je me suis senti des plus stupides en le reconnaissant. C'est un nid. Tellement concentré sur ma proie que je n'en reconnais pas un nid... Je l'ai posé à terre avant d'entrer de nouveau dans la petite clairière. Et l'odeur, c'est un massacre d'oeufs conscienscieusement perpétré par ma victime. Il n'y a plus rien de comestible là dedans, mais ça ne m'empêche pas d'essayer de lécher les restes. Par curiosité.
Enfin, jusqu'à entendre un hurlement sorti tout droit des pires tréfonds de l'Enfer, un brusque courant d'air sur moi, et deux grandes pattes pleines de serres tentant de me déchirer le dos. Je m'en dérobe juste à temps pour qu'elles glissent sur mon poil un peu trop court, franchement surpris. Un nouveau hurlement, des cris hystériques et suraigus qui vrillent mes oreilles, et je titube maladroitement en m'enfuyant à reculons en essayant d'identifier mon agresseur. Un oiseau des plus énormes, avec ses gigantesques ailes cachant le soleil qui filtre entre les branches. Je grogne sans conviction, impressionné par sa rage sans nom, avant de reprendre contenance. Un héron, un pauvre héron est en train de te menacer, et tu t'enfuis. Un héron!
J'ai poussé un grondement menaçant avant de changer de tactique et de m'approcher de lui en gonflant mon poil. Et lui de ne pas démordre de ses tentatives d'intimidation, fou furieux qu'il est. Bondir vers lui, la gueule grande ouverte; je suis récompensé par un solide coup d'aile qui me déstabilise juste assez pour refermer ma prise dans le vide. J'esquive un autre coup de pattes avant de bander mes muscles de nouveau, les pattes en avant cette fois. Il a de la force, ce foutu piaf! Je réussis quand même à le faire tomber de ses gigantesques échasses pour m'attaquer à lui. Battant des ailes comme un fou, et il me faut toute la volonté du monde pour ne pas perdre l'équilibre. Je ne sais même pas par quel miracle j'arrive à attraper son cou interminable entre mes crocs, et serrer, serrer comme un fou jusqu'à ce qu'il cesse de se débattre, et que je recrache sa tête sur le sol. Proprement décapité.
Et d'aller chercher mon autre victime pour contempler mon massacre, avec le sentiment que la chasse a été, très étrangement, meilleure que d'habitude.
Dernière édition par Rion le Sam 25 Aoû - 15:03, édité 2 fois