Le matin pourléchait de ses crocs la banquise, à peine éclairée par l'astre solaire qui commençait doucement son ascension. Le paysage semblait figé dans cette éclatante blancheur immaculée, extraite du temps et du chaos, comme si rien ni personne n'aurait pu déranger le sommeil du géant d'eau et de glace. Peut être était-ce le cas. Peut être valait-il mieux que ce soit comme ça. Phantom se mouvait de son pas caractéristiquement inaudible, étouffé par la poudreuse qui craquait parfois sous ses pattes agiles. La nuit avait été douce et paisible, malgré le vent glacial qui secouait sa fourrure pâle. Il y était habitué. Il s'arrêta un instant, son regard d'argent se portant sur l'horizon qui commençait à darder ses rayons. Il savoura le silence, l'air pur, l'impression de liberté infinie qu'il ressentait toujours lorsqu'il était seul au abord de la banquise, dangereuse amie avec laquelle il avait erré pendant quelques éternités. Il entendait parfois encore ses chants de tentation mais était rapidement rattrapé par la réalité de la vie de meute.
Servir et protéger.
Pour la première fois de son existence, il avait l'impression d'avoir trouvé sa place. D'être utile. D'être accepté. Cette pensée le réchauffa intérieurement alors qu'il reprenait sa marche inébranlable, l'oreille attentive à toute menace potentielle. Il était rare que les solitaires ou les meutes ennemies s'approchent si près du territoire de la meute pour tenter une offensive discrète, et c'était justement le rôle de Phantom de surveiller à ce que cela reste le cas. Sa ronde arrivait cependant bientôt à sa fin : il serait libre de prendre un peu de repos, pour quelques heures. Il interrompit son trottinement lorsqu'un bruit retenti sur sa gauche. Il n'était guère surpris : il avait senti l'odeur de la meute en la présence de la louve qui s'approchait. Cela ne l'empêcha pas de couler son regard gris spectral vers la nouvelle arrivante alors qu'il s'asseyait, rompant sa contemplation du paysage immaculé.
- Bon matin, dit-il doucement, un sourire dans les yeux.
De grandes bourrasques glaciales soufflaient sur la banquise. La glace sous les pattes de Kira craquait, poussant de longs grincements qui résonnaient dans le silence. La louve avançait d'un pas prudent, posant délicatement ses pattes sur la surface gelée à chaque pas. L'hiver n'était pas encore là, la glace pouvait être fragile par endroits et dans ce cas mieux valait ne pas s'aventurer sur la banquise sans être sûr de sa trajectoire. Ce n'était pas le cas de la louve, mais elle savait que ses sens aiguisés l'avertiraient en cas de danger. Le vent ébouriffait son pelage d'ébène, qui s'épaississait jour après jour, en même temps que les températures chutaient. Kira ne savait pas vraiment ce qu'elle faisait ici. Juste qu'elle avait eu besoin de s'éloigner un peu du reste de la meute et qu'elle avait avancé jusqu'à se trouver face à cette mer de glace. Elle avait avancé dans le but d'en découvrir les secrets mais avait vite déchanté en voyant que l'horizon s'étendait à perte de vue dans une blancheur monotone. Au moins l'endroit était-il lumineux, ce qu'appréciait énormément la guérisseuse aux yeux maudits. Ici aucun risque que sa vue ne lui fasse défaut à moins que la nuit ne tombe, ce qui n'était pas près d'arriver. Kira leva la tête vers le ciel gris et poussa un long hurlement que le vent emporta au loin, à l'opposé des terres Agmark. Elle se demanda si un loup de l'autre côté de ce désert hivernal l'entendrait. Mais, à son grand désespoir, un bruit lui parvint du côté opposé. La louve fit volte-face pour apercevoir un mâle au pelage blanc qui se tenait assis bien fièrement non loin. Il la fixait, ce qui eut le don d'agacer immédiatement Kira. Elle ne le connaissait que de vue. Un nouveau membre de la meute, sentinelle si elle se souvenait bien. Par contre elle n'avait pas pris la peine de retenir son nom. «Bon matin., lança-t-il. Kira fut tentée de lui rétorquer que le matin n'était plus bon depuis qu'il l'avait dérangée dans sa solitude mais elle avait promis à sa mère de faire des efforts. Plus facile à dire qu'à faire dans ce cas. Mais bon, le loup était un Agmark, peut-être connaissait-il son rôle et était-il venu quérir ses services ? Cependant, il avait l'air en pleine forme, ni blessé, ni malade. -Qu'est-ce que tu me veux ?», répondit sèchement Kira. Elle n'avait pas la patience de discuter si elle n'était pas demandée pour des soins. La petite Kira sociable et toujours aimable n'était plus, désormais remplacée par un cœur de pierre et une attitude visant à éloigner toute présence amicale. Elle ne savait si elle agissait comme cela parce qu'il s'agissait désormais d'un habitude, ou si c'était parce qu'elle avait peur d'une nouvelle trahison. Après tout, ne s'attacher à personne était une excellent solution de ne pas être déçue ou détruite de nouveau par un être qu'elle croyait cher.
Le petit loup ne trésaille pas devant l’agressivité palpable de la nouvelle venue. Il se contente de rester bien droit, immobile, son regard gris devenu un peu plus pensif, peut-être. Il reconnaissait en son interlocutrice la guérisseuse de la meute, cet élément essentiel à leur survie et leur bien être en ce temps chaotiques. Ils ne s'étaient jamais croisés outre mesure : elle semblait encore plus solitaire qu'il ne l'était. Son regard argenté l'examina sans animosité. Sa fourrure sombre contrastant avec le paysage, véritable morceau de nuit qu'on aurait soigneusement découpé. Il ne tenta pas de s'approcher -il savait que certains loups portaient une grande importance à leur espace vital.
Il ne désirait pas faire grimper l'hostilité de la louve d'un autre cran, mais il n'y avait pas de bonne réponse à la question qu'elle posait -qui faisait plus office de mise en garde que de réel intérêt. Pour une raison ou pour une autre, elle semblait chercher le conflit. Phantom savait que ce n'était pas contre lui : ils ne s'étaient jamais côtoyés suffisamment pour que ça en devienne personnel. Il pressentait que l’agressivité de la louve n'était pas que de la simple mauvaise humeur. Un mécanisme d'autodéfense ? Il rassembla ce qu'il savait sur la guérisseuse. Pas grand-chose, finalement, sinon qu'elle était revenue dans la meute après une longue absence. Phantom était trop récemment arrivé pour l'avoir connue, mais il avait entendu les autres loups s'étonner de son attitude. Il était suffisamment vif d’esprit pour additionner les faits et en déduire que quelque chose avait terriblement mal tourné pendant son escale. La vie de solitaire était dure et froide.
Il détourna son regard teinté d’une certaine tristesse vers la banquise, désert de glace à perte de vue.
─ Est-ce qu'être en colère aide à aller mieux ? il demande finalement. Cela aurait pu être pris pour du sarcasme, mais son ton était tellement sincère que la méprise aurait été intentionnelle.
L'autre loup eut l'intelligence de détourner le regard, cependant Kira y capta une lueur étrange. Elle ne chercha pas à en savoir plus. Elle n'avait que faire de ce qu'il pensait d'elle et ressentait en ce moment-même. «Est-ce qu'être en colère aide à aller mieux ?, demanda-t-il soudainement. Le regard de la louve s'assombrit et elle plissa les yeux, posant ses pupilles sanglantes sur le mâle. Elle ne connaissait pas son nom, et déjà il se permettait de lui adresser la parole comme si il était son ami de toujours, ou si elle avait besoin de son aide. Ce qui n'était nullement le cas. La prenait-il pour un louveteau au caractère difficile ? Kira aurait pu l'écraser au sol et lui faire regretter ses paroles en moins de temps qu'il en fallait pour prononcer le moindre mot, mais elle ne le fit pas. Elle n'avait jamais versé dans la violence pure. Elle préférait des méthodes plus discrètes et propres. Enfin, si on ignorait les violents vomissements causés par certaines baies dont elle seule avait le secret. Mais aussi sûrement qu'elle avait envie de tirer des excuses au mâle blanc sous menace de ne pas le soigner après l'avoir empoisonné, elle avait promis à sa mère de ne plus jamais exercer cette activité peu recommandable. Cela ne l'avait pas empêchée de transporter absolument toute sa réserve de plantes chez les Agmark. Au cas où elle en aurait vraiment la nécessité. Mais la sentinelle ne l'avait pas mérité, et elle le savait. Il était toutefois toujours agaçant, avec son air d'une sincérité hypocrite. -Merci de t’inquiéter mais ça ne te regarde pas que je sache., répliqua-t-elle. Et ce n'est sûrement pas à un loup aussi indiscret que toi que j'irais confier mes soucis. Alors mêles-toi de tes propres affaires, veux-tu ? Elle avait peut-être été un peu dure, mais elle détestait ce genre de curieux qui cherchaient absolument à s'immiscer dans la vie privée des autres. -Maintenant tu seras aimable de ne plus me poser de questions.», ajouta Kira en se détournant. Elle fixa de nouveau l'horizon, comme si celui-ci allait lui apporter une solution à tout ses soucis.
La banquise était un endroit calme et magnifique. Pourtant, sa beauté cachait de nombreux dangers. Eren avait interdit à ses enfants de venir ici, mais lui-même ne suivait pas ses propres recommandations. Il ne savait pas exactement ce qu'il aimait dans cet endroit, mais quelque chose l'y attirait. Peut-être était-ce le silence. Peut-être le froid. Dans tous les cas, il s'y sentait serein et pouvait réfléchir à tête reposée.
Un son inhabituel vint déchirer le silence, alors qu'il marchait paisiblement le long de la glace. Dressant la nuque et les oreilles, Eren se dirigea en direction du bruit. Avec les humains dans les parages, s'en approcher n'était certainement pas prudent, mais il ne pouvait pas faire comme si de rien n'était. Lorsqu'il arriva sur place, il constata immédiatement que l'odeur de Kira parfumait l'air, accompagnée de celle d'un autre de leur camarade de meute. Son sang ne fit qu'un tour. Il se hâta en direction de la crevasse qui s'était formée sur le sol, priant pour que les deux loups ne soient pas blessés... Jetant un regard en contrebas, ses yeux se posèrent immédiatement sur la forme noire de sa compagne. Le cœur battant, il constata que Phantom était là lui aussi. Il devait les sortir de ce piège. Il n'y avait pas une minute à perdre.
- Kira, Phantom, je suis là ! S’exclama t-il d'une voix forte. Je vais vous sortir de là !
Ils étaient tombés assez bas, et les parois glissantes devaient les empêcher de remonter à la surface. Eren chercha autour de lui. Les hommes avaient laissés quelques cordes près de leur piège, sans doute pour pouvoir remonter leurs prises. Cela allait jouer en leur défaveur. Le loup blanc se saisit de l'une d'entre-elle, puis il la fit glisser à l’intérieur du trou. Bloquant l’extrémité de l'une de ses pattes pour un court instant, il s'exclama :
- Je vais vous remonter ! Attrapez-ça !
Il repris alors la corde dans sa gueule pour se mettre à tirer vers l'arrière. La charge était lourde et ses pattes glissaient sur la glace, mais il parvint à faire remonter Kira sur la banquise à la force de ses muscles. Il entreprit ensuite d'aider Phantom de la même manière qu'il l'avait fait pour la louve. Une fois qu'il fut hors de danger à son tour, Eren se dirigea vers sa compagne, le corps tremblant légèrement à cause de l'inquiétude et de l'effort. Il s'empêcha de l’étreindre, respectant la décision qu'elle avait pris depuis la naissance de leurs petits : s'éloigner de lui.
- Tout va bien ? S'enquit t-il.
Elle n'avait pas l'air blessée, à son grand soulagement... Il ne voulait pas la perdre. Pas elle. Son regard se posa alors sur Phantom. Que faisaient t-ils ici, tous les deux... ? Étaient t-ils proches ? Eren écarta cette pensée de son esprit, regardant plutôt si le loup blanc était lui aussi en bonne santé.
Jeu 12 Mar - 12:09 par 
REIRA DE 
