Jim est depuis trop longtemps plongé dans ce qui s'apparente à une tranquille apathie. C'est un spectre abîmé au cerveau vitreux. Et malgré lui, il ne parvient plus à s'échapper de ce chemin, qui chaque jour le rapproche d'une certaine mort par l'ennui. Il devient toujours plus imperturbable, d'un calme létal, ce qui l'amène à prendre, quand il veut, des décisions plus ou moins rationnelles. A force, il ne cherche plus à faire attention à ce qu'il dit, et il est assez facile de se sentir froissé par ses mots. Ayant grandi hors de la vie en société, il n'en a jamais maîtrisé les codes : son cynisme apparaît souvent comme de l'insolence, voire de l'arrogance, et il n'a jamais cherché à s'en détacher. Mais Jimmy cherche à dévier de cette terne route. S'il est quelqu'un de solitaire et autonome, il a appris à aider l'autre de manière désintéressée : il sent que ça le garde en vie. Il sait faire preuve de clémence, de tolérance et de compassion, même s'il ne sait pas le faire paraître ; ce sont surtout ses actes qui le prouvent.
La fourrure dense est monochrome. Rien ne s'éloigne du gris et de ses nuances. Des oreilles noires, une cape sombre sur le dos, comme des traînées de charbon indélébiles. Du reste, un lourd manteau de cendres s'étendant sur presque tout son corps, dont la teinte varie selon les mouvements. Son ventre accueille une blancheur laiteuse, que l'on voit rarement. Jim n'est pas grand, et si sa fourrure lui donne un aspect trapu, il n'en est rien. Il est plutôt sec, taillé pour les longues distances. Il demeure solide sur ses pattes, bien que sa démarche soit lente, errante, peut-être même fantomatique. La seule chose qui s'échappe de cette ensemble décoloré, ce sont ses yeux. Deux prunelles d'ambre et d'ocre, dégageant une incandescence douce et indicible.
Le père s'appelait Jack. Un loup noir et massif, couturé de cicatrices. Il devenait vieux, mais son corps restait tout de même solide. C'était le premier loup introduit dans la Ménagerie. Lui, c'était une vraie bête du grand Nord, des contrées sauvages et hostiles. Vous savez, on peut lire des histoires dans le regard des autres. Le sien, avec ses grands yeux ambrés, était toujours rempli de rancœur. Jour, comme nuit. Une vieille rancœur qui ne guérissait pas et dont il ne parlait jamais. Il avait été capturé par les hommes qu'il avait traqués pendant des jours. Ils pensaient qu'ils les auraient, lui et la Meute. Ils laissaient échapper très peu de leurs proies. Oui, parmi les hommes, ils étaient redoutés. Aucune pitié. Et si leurs crocs n'avaient pas raison de ces créatures sans fourrure, ce serait l'Hiver, le grand roi, impartial et juste : il tue les plus faibles pour nourrir les plus forts, et garder l'équilibre. Il y avait quatre hommes, et ils en avaient déjà eu un. Mais le jour où les hommes ont atteint la fin de leur voyage dans le Nord, Jack a appris une chose : ce ne sont pas des animaux. Ils n'ont pas cet instinct qui les fait agir seulement pour satisfaire leurs besoins. Les hommes sont profondément cruels, mauvais, et prêts à tout pour asseoir leur domination. Ils ont décimé presque toute la meute avec leurs armes, et capturé Jack, parce qu'il ressemblait au grand méchant loup des contes et qu'il ferait trembler les gens de la ville. Après un long et harassant voyage, Jack a été enfermé dans un zoo, au milieu d'une jungle grise et étouffante, accablée d'une chaleur sale. Au bout d'un moment, une autre louve est arrivée. A force, il la tolérait. Peut-être même qu'il s'y était attaché.
Ce sont ceux des hommes, ils aiment nous regarder mourir. Il faisait peur, quand il disait ça. Jack détestait sa vie.
Maman, je m'ennuie.
La mère, elle, s'appelait Rosa. Elle était née dans un cirque ambulant, élevée par des charlatans. C'était une bête de foire qui sautait dans des cercles de feu et acceptait de montrer les dents sur commande. Personne ne savait vraiment si c'était une louve, pas même elle. Elle avait du sang de loup, c'est certain, mais sûrement aussi y avait-il du chien. Elle avait les yeux bleus, et une fourrure mêlant blanc et gris, très douce. Rosa était extraordinairement belle, et c'est pour ça qu'elle s'est, elle aussi, retrouvée enfermée là, dans la Ménagerie. Ceux qui l'ont arrachée aux mains des forains ont agi au nom du bien-être animal, mais qui se soucie du bien-être d'un animal laid ? Elle a toujours été indifférente à tout. A l'affection, à la cruauté, à tout ça. Rosa avait toujours l'esprit ailleurs. Elle avait simplement compris que les passions ne servaient à rien, dans ce monde gris, sans nuances, sans variations. Un long fil monotone tendu vers la vieillesse, puis la mort, seule, enfermée. Elle est arrivée dans cet enclos, avec ce grand loup noir cabossé qui la rejetait au début, puis qui s'est pris d'affection pour elle.
Moi aussi, je m'ennuie. Elle disait ça avec ses grands yeux bleus nuageux levés vers quelque chose que personne ne voyait. Rosa détestait sa vie.
On est fatigués, on veut sortir, nous.
Pour Jack et Rosa, ces enfants issus d'eux sont le symbole-même de cette vie qu'ils n'aiment pas. Il y en a eu trois : le premier s'appelle Jim, la deuxième Leah, et le dernier, Cody. Des noms qui n'ont pas d'âme, pas d'essence. A vous de la créer, si ça peut vous faire plaisir. A trois, ils ont été capable, pour un temps de repousser le gris et l'ennui qui menaçaient de les engloutir eux aussi. Il étaient proches. Chacun était le point d'ancrage des autres. Mais l'enclos était trop petit, les yeux trop nombreux et l'ennui trop monstrueux. Les jeunes loup de la Ménagerie ont tous des problèmes. C'est comme s'ils étaient voués à l'échec dès la naissance. Après tout, ils sont les fruits de l'indifférence, de la rancœur et d'un chemin inexorable vers une triste mort libératrice.
Les hommes ont détruit ces loups, et se détruisent eux-mêmes. Les bombes, une nuit, se sont écrasées sur la ville et l'ont déchirée, lacérée. Les flammes se sont élevées dans le ciel noir, la poussière et les cendres ont dansé et étouffé. Rosa est morte sur le coup, écrasée sous les décombres. C'est comme si, ça aussi, elle y avait été indifférente. Jack s'était échappé dans la ville : la chasse était lancée, il était temps de se venger. Ses crocs et ses griffes se sont couverts de sang, mais les hommes, d'une balle méprisante, l'ont descendu. Le chaos était si bruyant qu'on n'a rien entendu. Leah et Cody ont disparu, et Jim s'est retrouvé seul et blessé. Il les a cherchés, bien sûr, pendant des mois et des mois. Jamais il n'avait ressenti tant de colère, de tristesse, et de joie à la fois, d'être enfin dehors. Et puis, la fatigue antique est tombée. Elle a pesé, cassé ses épaules. Elle a tué quelque chose en lui qui était à l'agonie depuis sa naissance. Et Jimmy erre, depuis, sans rien, il n'a jamais rien eu. Et il en est persuadé, la seule chose qui le maintient en vie, c'est sauver ce qui peut encore être sauvé et la Nature qui survit encore.
J'ai découvert le forum : par les top-sites j'imagine Sur le web on m'appelle mojo et j'ai 18 ans cyka blyat
Dernière édition par Jim le Mer 3 Oct - 22:33, édité 3 fois