Il n'y avait que la douleur. La douleur et la peur. Kira la sentait, empestant l'air emprisonné dans la petite tanière. La peur l'étouffait, tandis que son corps semblait décidé à la faire souffrir de longs moments encore. Pourquoi elle ? Pourquoi tout cela lui arrivait-il ? Elle n'aurait jamais dû rejoindre les Agmark ... Elle aurait dû rester dans sa tanière au milieu de la vallée et continuer à errer en solitaire. Comment avait-elle pu penser un seul instant que retrouver les siens avait été une bonne idée ? Comment avait-elle pu ne pas réfléchir aux conséquences de ses actes, et plutôt d'un en particulier dont elle pouvait sentir le résultat dans chaque fibre de son être en ce moment-même ? Haletante, elle était agitée de contractions de plus en plus violentes, tandis qu'ils s'agitaient pour sortir. Puis, une douleur plus forte, et une boule de poils blanche atterrit sur la litière de mousse et d'herbe sur laquelle Kira avait l'habitude de dormir. La petite créature commença à ramper vers elle, et la louve se recula contre le mur de pierre en grondant. Elle ne voulait pas que ça l'approche. Elle claqua des dents et repoussa le louveteau d'un coup de patte. Eren arriva enfin, et Kira lui lança un regard meurtrier, le dissuadant de s'approcher d'elle. Elle vit son compagnon se diriger vers leur fils ou leur fille -elle n'avait pas vérifié et ne tenait pas à le faire- et le garder près de lui pour ne pas qu'il s'approche de nouveau de sa mère. Plusieurs longues minutes plus tard, ce fut un deuxième louveteau, puis enfin un troisième qui vinrent au monde, et Kira regarda la portée avec dégoût et une étrange tristesse. Tous blancs, comme Eren. Pas un seul n'avait hérité de son pelage. Après tout, c'était peut-être un signe. Ils n'étaient pas ses petits, non, elle n'en avait jamais voulu, ils ne pouvaient pas être ses petits. Ils ne lui ressemblaient pas, n'avaient rien d'elle. Et de toute façon, ils mourraient probablement avec des parents comme eux ... Ils ne pouvaient pas être en bonne santé, c'était impossible ... Elle avait été égoïste en mettant au monde des louveteaux qui auraient des tas de problèmes, elle le serait moins en les laissant s'éteindre dans l'ombre, avant même qu'ils aient pu ouvrir leurs yeux et découvrir ce qui les entourait. C'était la meilleure chose à faire. Poussant un dernier grognement à l'intention des boules de poils qui piaillaient et lui cassaient les oreilles, Kira se redressa, affaiblie par la mise bas, puis s'élança hors de la tanière, les abandonnant avec Eren. Elle courut jusqu'à un endroit presque inaccessible de la forêt, les ronces la griffant et arrachant des touffes de poils noirs sur son passage. Bientôt, elle ne parvint plus à faire le moindre pas et s'effondra dans l'herbe. Le soleil brillait faiblement à travers les branchages. Trop chaud, elle avait trop chaud. Tout son corps tremblait, ses muscles ne lui obéissaient plus. Alors Kira ferma les yeux et resta là, loin de tout, pendant de longues heures, l'esprit bouillonnant à cause de tout ce qui venait de se produire. Elle venait d'avoir des petits, et elle ne les avait pas reniflé, même pas touchés. Elle les avait renié sans la moindre hésitation, les vouant à une mort sûre sans mère pour les nourrir et les protéger. Et le plus inquiétant dans tout cela ? Elle n'éprouvait pas le moindre remords. Rien du tout. Pour elle, ils n'existaient pas, comme un mauvais rêve.
Les dernières semaines avaient été longues. Il ne s'était pas passé un jour sans qu'Eren ne regrette ce qu'ils avaient fait, Kira et lui. Jamais il n'avait voulu avoir une descendance. Apprendre que la louve noire attendait des petits de lui l'avait mis dans tous ses états. Il n'en avait cependant rien montré afin de paraître rassurant aux yeux de sa compagne. Elle avait déjà suffisamment de problèmes sans qu'il ait besoin d'être une source de stress supplémentaire. Intérieurement, il ne pouvait pourtant pas s'empêcher de se sentir coupable. Leurs petits ne seraient pas en bonne santé... Comment le pourraient t-ils, avec un père tel que lui ? Pourquoi ne s'était t-il pas écouté ? Pourquoi avait t-il été aussi insouciant ? Ces louveteaux et Kira allaient souffrir par sa faute.
Il faisait les cents pas à l’extérieur, sentant son corps trembler sous l'afflux incontrôlable du stress, lorsqu'il sentit une odeur de sang provenir de la tanière de Kira. C'était le moment. Eren s'empressa de pénétrer à l’intérieur de la petite cavité, son cœur tambourinant plus que jamais dans sa poitrine. Au sol, il remarqua directement la petite masse blanche que la louve venait de repousser d'un coup de patte. Sa compagne le toisait d'un regard sanguin, grondant dans sa direction. Il comprit qu'elle ne voulait pas qu'il l'approche. Elle n'avait jamais demandé ces petits, elle non plus, et ce qu'elle venait de vivre avait du être très éprouvant. Eren ne chercha pas à la raisonner et se dirigea instinctivement vers leur petit. Il n'y avait pas de temps à perdre. Si il restait ainsi, il allait mourir. Le mâle blanc s'approcha de lui et se mit à le lécher afin de le réchauffer et d'activer son système sanguin. Il le garda ensuite contre son corps, l'empêchant de rejoindre sa mère malgré ses glapissements. Il espéra que se soit le seul, mais un deuxième suivit, puis un troisième. Chaque seconde lui sembla durer une éternité. Une fois la mise bas terminée, Kira se redressa pour se jeter à l’extérieur. Eren sentit comme déchirure à l’intérieur de lui. Il voulait la suivre. Il voulait la couvrir de caresses et lui murmurer que tout irait bien, mais il serait hypocrite de le faire. Elle était terrifiée à l'idée d'être mère, tout comme il l'était à celle d'être père. Abandonnés au sol, les deux autres louveteaux tentaient tant bien que mal de trouver la chaleur de leur mère. Eren sentit son cœur se serrer à nouveau. Il saisit délicatement entre ses crocs celui qu'il avait contre lui pour le rapprocher des deux autres, puis les réchauffa à leur tour. S'allongeant contre eux, le mâle les vit chercher à se nourrir, en vain. Il avait besoin d'aide. Il ne savait pas ce qu'il devait faire. Il ne voulait pas qu'ils meurent. Dans le silence de la tanière, il les regarda finir par s'endormir contre sa fourrure. Le blanc de leur poil se confondait avec le sien. Ils étaient tous les trois blancs, comme lui. Deux mâles et une femelle. Ils étaient si minuscules, si innocents. Malgré ça, la vie était déjà cruelle avec eux.
Abaissant la tête, Eren pressa doucement son front contre eux.
- Je suis désolé... Murmura t-il doucement.
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Mer 29 Aoû - 12:22
Le petit louveteau avait chaud dans cette tanière humidifiée par le souffle de nombreux loups. Son poil était trempée de sang, de sueur. Il était le premier, le premier à être venu au monde et le premier à s'être prit un coup de sa mère. Premier contacte avec elle, probablement le dernier... Inconscient de ce qui se déroulait autour de lui, la petite boule de poil n'avait qu'une envie. Trouver les mamelles de sa mère pour téter. Il braillait bien fort, montrant son mécontentement lorsque deux pattes le saisir pour l'écarter du corps chaud qu'il identifia comme celui qui lui avait donné la vie. Mais rien à faire, la prise de cet autre loup était bien trop forte. Alors le petite louveteau blanc se retourna gauchement et chercha à taton des mamelles dans cette épais pelage. Il donnait de petite coup de tête et de patte, affamé. Ses yeux encore aveugle ne lui permettait pas de savoir ce qui se passait mais lorsque les pattes que le tenaient se crispèrent et qu'un courant d'air lui hérissa le poil, il sentit que la présence maternelle n'était plus là. De plus, deux autre petits corps chaud vinrent se placer à côté de lui, braillant tout autant, affamées eux aussi. Le nouveau né avait froid dans son poil humide mais les coups de langues rapides et répétitif de son père lui permettaient de survivre. Eiko cessa rapidement de hurler, épuisé. Il finit par se laisser tomber contre cette épaisse fourrure, cette grande présence qu'il sentait réconfortante. Malgré la faim, il finit par fermer les yeux et sombrer dans un sommeil léger. Son ventre commença alors à gargouiller désespérément. Il avait faim.
Lorsque son corps était entré en contact avec le sol, elle avait eu mal. Elle était tombée brusquement, poussant un gémissement plaintif. Ses poumons se remplissaient d'air pour la toute première fois. De multiples odeurs flottaient dans l'atmosphère, la rendant inquiète. Instinctivement, elle voulu se rapprocher de celle qui venait de la mettre au monde. Elle avança à l'aveuglette, couinant à la recherche de sa mère, mais cette dernière demeurait introuvable. Sentant le froid paralyser ses membres encore faibles, le louveteau s'immobilisa. Elle sentit alors une source de chaleur venir l'envelopper, et enfin, une fourrure rassurante contre laquelle elle se blottit sans plus attendre. Elle avait faim. Elle chercha donc à se nourrir contre le corps de sa mère, mais ne trouva rien qui le lui permette. Épuisée, elle finit par abandonner. Se roulant en boule près de ses deux frères, la petite louve sombra dans un profond sommeil peu après avoir entendu la douce voix de son père au dessus d'elle.
Sa première inspiration, celle qui lui brûle la gorge, irrite ses poumons juvéniles de poussière et d'air toxique, servira au même but que tous les louveteaux tout juste nés - pousser le premier hurlement de sa vie, celui que ses oreilles encore insensibles n'entendront pourtant pas. Petite boule de poils trempée errant au milieu d'un néant gigantesque. Où sont les mamelles? Il doit atteindre les mamelles. Il doit trouver l'odeur de lait et l'atteindre. C'est ce que l'instinct lui commande de faire, de mettre toute son énergie à agiter maladroitement ses membres patauds pour ramper vers ce qui sera la frontière entre sa survie et sa mort prématurée. Mais quelque chose ne va pas. Les mamelles sont loin, tellement loin qu'il n'arrive pas à les atteindre, et l'odeur s'éloigne, malgré ses supplications suraigues. Il est tout seul, à hisser son petit corps informe vers une cible qui s'éloigne et s'éloigne encore. Tout seul au milieu du froid. Il finit par sentir la chaleur d'autres pelages contre lui, après ce qui lui semble des heures et des heures de hurlements sans réponses. Mais ça n'est toujours pas bon non plus. Il n'y a pas de mamelles dans cette fourrure-là. Il a beau chercher, pétrir avec ses minuscules pattes, il n'y a rien, pas même l'odeur. Pourquoi les mamelles ne sont pas là? Il a faim! Il a faim, mais l'épuisement finit par le prendre lui aussi, quand il finit par sentir les deux autres petits corps cesser de s'agiter autour de lui. Et ses piaulements de descendre en intensité, jusqu'à ce qu'il se taise pour de bon, affamé mais trop fatigué pour continuer à lutter contre l'absence des mamelles et du lait qu'il cherchait avec tant d'ardeur.