On joue comme des guerriers, croyants être éternels... | Ft. Torak

Torak & Al'Akir

Torak pataugeait depuis de longues minutes dans le marais. Il s'y était aventuré par simple curiosité, comme à chaque fois. Cependant, il espérait pour une fois ne pas s'attirer d'ennuis. Après tout, il était en terres neutres et ici, il ne pouvait compter sur la protection de son père ou des autres sentinelles de la meute. Il y a encore peu de temps, cette excursion en territoires inconnus relevait de l'interdit pour lui, mais du haut de ses huit mois il se déplaçait désormais librement, où il le voulait, quand il le voulait. Alors que les louveteaux obéissants auraient savouré cette liberté, lui n'y avait pas vu de changement majeur, étant déjà habitué depuis ses deux mois à s'opposer à l'autorité parentale et à s'enfuir avec son frère pour toutes sortes de plans aussi dangereux qu'amusants.
En arrivant ici, l'apprenti avait aperçu une grenouille qu'il avait tenté d'attraper en vain, le petit batracien étant trop rapide et agile pour lui. Frustré par cet échec, Torak avait longtemps sauté dans l'eau poisseuse et la boue pour tenter de dénicher sa proie, mais il lui semblait maintenant évident que l'animal avait fuit le plus loin possible dès sa première tentative sans demander son reste. Désormais, son pelage habituellement d'un blanc immaculé était presque entièrement brun et détrempé, lui donnant une allure des plus ridicules et crasseuses. Bien que la saleté ne le dérange pas plus que ça -contrairement à Sokka qui détestait ne pas être propre malgré son pelage noir- Torak songea qu'il lui faudrait tout de même se débarrasser de la boue le recouvrant avant de revenir au camp. De plus, l'odeur que dégageait désormais le jeune mâle ferait fuir n'importe qui, y compris les jeunes femelles célibataires de la meute, et ça, c'était une erreur qu'il ne pouvait pas commettre. Il penserait donc à faire un tour au lac d'ambre en revenant sur ses terres pour un nettoyage plus que nécessaire.
Cependant, avant de rentrer, il y avait un dernier endroit qu'il souhaitait explorer. La petite bâtisse se dressait de l'autre côté du marais, tenant encore debout de façon incroyable malgré son allure délabrée et les traces que le temps y avait laissées. Le jeune loup s'extirpa de l'eau stagnante, s'ébroua rapidement et avança à pas feutrés vers la maison. Il s'arrêta un petit instant devant, hésitant. Il tendit l'oreille et avança son museau vers l'entrée, humant l'air à la recherche de la présence d'un prédateur ou d'un congénère. Ne remarquant rien d'anormal et d'inquiétant, à part bien sûr l'endroit dans lequel il s'apprêtait à entrer, il fit taire ses craintes et posa une patte sur la pierre pleine d'imperfections, puis une autre, avant de finalement s'engouffrer par le passage où devait auparavant se tenir une porte.
Lorsqu'il fut à l'intérieur, ses yeux mirent quelques secondes à s'habituer à l'obscurité ambiante qui y régnait, les fenêtres encombrées de végétation empêchant la lumière naturelle de pénétrer correctement dans la pièce. Le mâle progressa les sens aux aguets, sensible au moindre son, au moindre mouvement, ses muscles tendus dans l'éventualité d'un danger imminent. Si tel était le cas, il serait prêt à déguerpir à toute allure. Sur son passage, ses pattes humides laissaient des traces facilement identifiables, qui formaient ensuite de petites flaques indiquant son itinéraire. Après quelques minutes pendant lesquelles il renifla, intrigué, les blocs de bois, de fer et d'autres textures aux formes étranges qui trônaient un peu partout dans le périmètre, il passa dans un passage pour rejoindre la pièce suivante, continuant son exploration. Ce qu'il y cherchait ? Absolument rien. Peut-être la chance allait-elle lui sourire et trouverait-il quelque chose d'utile. Mais, alors qu'il fouinait sur une planche de bois tenue par des tiges de fer, ses pattes posées sur la surface et sa tête tendue vers l'avant, le cliquetis de griffes sur la pierre le figea sur place. Quelqu'un venait ici. Lentement, sans un bruit, Torak reposa ses quatre pattes au sol. Il respirait le plus silencieusement possible, ne bougeant plus d'un poil, cherchant du regard une autre sortie par laquelle fuir. Se rendant compte de l’inexistence d'une quelconque issue de secours, il attendait, la peur au ventre, la suite des événements lorsqu'une voix forte dont le ton exprimait clairement le mécontentement résonna.
«Montre toi !
L'Inkyva réprima un tremblement, ne sachant comment réagir. Pourquoi fallait-il toujours qu'il se mette dans de pareilles situations ? Il se maudit de n'avoir encore une fois pas écouté son frère, Sokka l'avertissant pourtant de ne pas partir seul sur les terres neutres. Avec un peu de chance, ce dernier aurait peut-être averti leurs parents qui étaient à sa recherche en ce moment même ? Torak garda ce petit espoir au fond de lui. En attendant, il fallait qu'il trouve une façon de ne pas s'attirer de véritables ennuis avec l'inconnu. Si il restait là, l'autre le trouverait sans souci dans quelques minutes et serait probablement encore plus furieux qu'il ne se soit pas montré, aussi l'apprenti prit son courage à deux pattes, soupira, et s'avança dans la pièce précédente. Là, dans l'entrée par laquelle il s'était glissé, la lumière extérieure dessinait une silhouette lupine, et au grand soulagement de Torak, beaucoup moins impressionnante que ce à quoi il s'attendait. Cependant, ayant appris à rester prudent en toutes circonstances, le jeune loup s'arrêta à une distance respectable de l'autre et le salua d'un mouvement de tête respectueux.
-Je m'appelle Torak, je ne veux pas de problèmes.», se présenta-t-il, haussant la voix sur ces derniers termes pour s'assurer que l'autre loup les comprenne parfaitement.
Il fixait de son regard ambré la silhouette, espérant qu'il serait plus agréable que son ton ne le laissait présager.

Torak & Al'Akir

Torak espérait que l'autre loup se détende en voyant qu'il n'était pas une menace. Pendant un instant, il crut que c'était le cas, avant que l'inconnu ne reprenne la parole en effaçant cet espoir.
«Qu'est-ce que tu viens faire là ? Torak., lâcha-t-il d'un ton trop agressif au goût de l'apprenti.
Il avait presque craché son nom, et pendant un moment la fierté du jeune mâle en fut blessée et il se renfrogna, avant de se rappeler qu'il était seule et que ni papa ni maman ne pouvaient l'aider. Il allait devoir gérer cette situation comme un grand, et rien que cette pensée effaça le petit air supérieur qu'il arborait aussi vite qu'il était apparu. Torak se racla la gorge, essayant de paraître nullement impressionné malgré sa queue basse qui témoignait du contraire.
-Rien, je regardais juste. Je pourrais te retourner la question., répondit-il avec une assurance qui l'étonna lui-même.
Il regretta aussitôt cette dernière phrase et espéra que le solitaire n'était pas aussi susceptible que sa mère, sinon il risquait de passer un sale quart d'heure. Quand Midona s'énervait, Torak et son frère avaient l'habitude de se faire tout petits et d'aller voir si il se passait quelque chose d'intéressant ailleurs. Bien que la louve noire ne leur ai jamais fait le moindre mal et ne leur en ferait jamais aucun, elle était vraiment impressionnante et terrifiante quand elle laissait la rage l'envahir. Bien sûr, le loup face à Torak en ce moment était visiblement moins dangereux, mais le jeune mâle savait qu'il ne fallait jamais sous-estimer un inconnu. Le plus frêle des loup pouvait tout aussi bien vous terrasser alors que vous vous y attendiez le moins. Tout cela, Torak l'avait appris de son père, et il lui était reconnaissant aussi de lui avoir appris à gérer une situation avec diplomatie maintenant qu'il en avait besoin. Néanmoins, il manquait cruellement d'expérience comparé à la meilleure sentinelle de la meute.
-Et ... et nous sommes en terres neutres, tu n'as aucune raison de m'attaquer, ce n'est ... ce n'est pas ton territoire !», bafouilla-t-il maladroitement.
Il afficha un air qu'il voulait le plus dissuasif possible, même si il savait qu'il ne devait pas être très convaincant, surtout avec cette boule de stress qui s'était logée dans son estomac, encore plus lourde que le lapin qu'il avait mangé plus tôt ce matin.

Torak & Al'Akir

Est-ce que parler de la sorte au solitaire était une bonne idée ? Absolument pas ! En fait, Torak le regretta aussitôt qu'il entendit l'agacement évident dans la voix de l'inconnu.
«Ce n'est pas ton territoire non plus, gamin. Et on ne t'as jamais dit que certaines personnes étaient dangereuses. Ta maman t'as pas expliqué de pas s'éloigner ? Tu crois vraiment que j'aurais besoin d'une raison pour te sauter à la gorge ? Personne ne le saurait si ça venait à arriver., gronda le loup en commençant à s'avancer, plus menaçant que jamais.
Si Torak avait d'abord songé à déguerpir en courant, il n'en fit rien. Parce que le solitaire venait de blesser sa fierté. "Gamin" ? Pour qui le prenait-il ? Un louveteau à peine sorti de la tanière ? Il avait huit mois, il était un adulte fort et responsable ! Enfin ... presque ? En tout cas le jeune loup en était convaincu, lui.
-Je ne suis pas un gamin !, grogna-t-il en insistant bien sur chaque mot. Et mon père n'est pas loin ! Si tu m'attaques, je l'appelle et tu n'auras aucune chance contre un loup aussi fort que lui !»
Il ne savait absolument pas où était son père. Probablement en train de veiller sur la meute. Loin d'ici. Hors de portée de ses hurlements. Mais le solitaire n'en savait rien, alors son mensonge avait une chance d'être effectif. Et il devait être effectif. C'était sa seule chance ou alors il n'aurait plus qu'à prier que le loup face à lui soit aussi lent qu'une tortue lorsqu'il se lancerait dans sa fuite.