J'avance, pas à pas, foulant le sol. Le soleil perce tant bien que mal au travers des nuages, réchauffant ma fourrure à souhait. C'est agréable de se promener sur le territoire. Notre territoire. Depuis le fameux exode, tout a changé. J'ai grandi, et peut-être légèrement muri. Mais, j'ai surtout perdu Helya, mon modèle. Je n'étais pas proche d'elle, non, mais je l'admirai. Je l'admirai en tout, et pour tout. Elle me permettait d'avoir un objectif de vie, bien que je ne puisse tenir l'un des principaux : fonder une famille. J'ai conscience de ma fertilité. Je la sens, au plus profond de moi, même si tous les jours, j'espère pouvoir me réveiller sans cette sensation de non fécondité. Je ne pourrai décrire ce phénomène profond, mais là, quelque part dans mon ventre, je sens qu'il y a un problème. Comme si... Comme si quelque chose fonctionnait pas, ou mal. Et ça m'affecte énormément. Après la perte de l'être qui comptait le plus pour moi, Möona'Sô, la perte de mes géniteurs, j'ai l'impossibilité de fonder une famille. Ai-je un destin qui ne veut que ma souffrance ? Je suis destiné à ne plus avoir de famille, ni dans le passé, ni dans l'avenir. Je suis seule. Condamné à être seule. Quelle belle vie s'offre à moi. Et après, on ose s'étonner de mon caractère, et la haine incontestable envers tous ces petits loups qui ont la chance d'avoir des parents et une potentielle descendance. Leur lignée ne s'éteindra pas avec eux. Moi, si. Je sors de mes pensés lorsque je trébuche sur une branche en travers de la route. Je me rattrape in-extrémis. Ça promet d'être une journée complétement médiocre. Comme celle d'hier. Et celle d'avant hier. Et celle d'encore avant. Sauf qu'aujourd'hui, le soleil a réussi à vaincre les gros nuages, et qu'il essaye de briller au mieux. Moi aussi, petit soleil j'essaye de briller au mieux, mais j'ai du mal. Vraiment, du mal. Alors, j'essaye de récupérer cette énergie lumineuse, pour continuer d'avancer. Avancer mentalement, et physiquement au travers de la forêt. Mes pas sont réguliers, ni trop lents, ni trop rapides. Au milieu de la végétation, je me sens dans mon environnement, comme dans un nid douillet, protégé par le caché de tous ces arbres, ces plantes. Un bruit se fait alors entendre au loin, et je m'arrête net. Je coupe pendant quelques secondes ma respiration, pour entendre un silence presque parfait, avant de reprendre mon souffle tout doucement, de manière presque inaudible. Je m'assois au milieu des hautes herbes, en faisant des mouvement extrêmement lent, afin que la végétation ne bouge quasiment pas. Et je finis par me coucher, entièrement cachée par l'herbe. Je n'ai que très peu de visibilité, mais mes sens sont aux aguets. Je suis prête à sauter sur un potentiel ennemi. Je ralentis ma respiration, la mélangeant à la fine brise qui vient danser contre mes poils blancs. Au bout de quelques minutes, les bruits de pas s'intensifient. Je me tapis un peu plus dans l'herbe, voyant au loin quatre pattes musclées blanches. Du sol, il m'est impossible de reconnaître le loup, ni même d'être certaine qu'il s'agit d'un Inkyva. J'essaye de faire une symbiose avec le sol, au fur et à mesure que l’intrus, ou l'individu se rapproche de moi. Je me sais invisible à ses yeux, ce qui, en cas de danger me laisse un avantage. Mais, vu la taille de ses pattes, s'il m'écrase, je meurs sur le coup. Ah, quelle joie d'avoir peu de force... C'est toujours embêtant pour un potentiel combat, mais mon agilité m'aide beaucoup. Vif, et rapide, je sais plus ou moins esquiver les coups, puisqu'en donner ne sert quasiment à rien. Le loup n'est plus qu'à quelques mètres de moi, et j'attends patiemment qu'il passe à l'endroit exact où je me trouve. Cinq pas nous séparent. Puis quatre. Enfin trois. Je suis bien trop basse et cachée dans les herbes haute pour entièrement le loup, mais son odeur ne me semble pas être celle d'un ennemi. Lorsqu'il n'est plus qu'à deux pas de moi, je me relève brusquement, prête à une action potentiellement violente. Le visage du loup face à moi est identifié dans la demie-seconde qui suit. Pelage blanc immaculé, deux billes ambrés : Torak, apprenti sentinelle. Je ne me détends pas pour autant. Je l'ai surpris, et je redoute sa réaction.
Torak trottinait gaiement dans la jungle. Ses pattes foulaient le sol avec légèreté, mais manquaient cruellement de discrétion. Si son père et mentor était là, il l'aurait probablement réprimandé pour cela, mais par chance le jeune loup était seul aujourd'hui. Pas d'entraînement, pas de patrouille, il était simplement venu se promener et s'amuser. L'apprenti connaissait la jungle éternelle presque par cœur. Il fallait avouer qu'il y passait la plupart de son temps libre, mais aussi de ses entraînements. Il songea d'ailleurs qu'il serait bien qu'il explore un peu plus les autres territoires de la meute, car il lui sera indispensable de les connaître sur le bout des pattes eux aussi lorsqu'il deviendrait sentinelle. Mais pour l'instant, il n'y songeait pas. Il n'avait que sept mois, et encore de nombreuses choses à apprendre, bien qu'il soit l'un des meilleurs apprentis de la meute. Il pensait même pouvoir battre Sokka, il faudrait d'ailleurs qu'il propose un duel amical à son frère pour le prouver. Le mâle continua d'arpenter la jungle pendant un petit moment, lorsqu'il aperçut du coin de l’œil un mouvement furtif. Une silhouette lupine venait de s'accroupir rapidement, se dissimulant dans les fourrés. Torak s'arrêta et tourna la tête dans cette direction. Un intrus ? Un ennemi ? Un espion ? Non, aucune odeur autre que celle des Inkyva ne flottait dans l'air. Alors pourquoi l'autre se cachait-il si soudainement ? Avait-il quelque chose à se reprocher ? Était-il un loup corrompu ? Infiltré ? Ou pire encore, un assassin qui venait de commettre un crime et tentait de se sauver ? Pendant que des scénarios de plus en plus improbables tournoyaient dans l'esprit débordant d'imagination de Torak, ce dernier s'avançait lentement vers l'endroit où le loup avait disparu. Il ne chercha pas à être plus discret qu'avant, l'autre l'avait déjà vu de toute façon. Tandis qu'il s'approchait, son regard se promenait sur les fourrés. Il était sûr d'avoir vu quelqu'un, il ne devait plus être bien l... Torak frôla la crise cardiaque. Un loup -non, une louve- venait de surgir soudainement des fougères, se jetant presque sur lui. Le mâle sursauta et recula de quelques pas avant de se figer. Ses yeux écarquillés, ses oreilles plaquées sur son crâne et sa gueule grande ouverte sous l'effet de surprise donnaient un air ridicule au jeune apprenti. Son cœur battait la chamade, tambourinant jusque dans sa tête. Se rendant compte de l'allure qu'il affichait, Torak reprit contenance. Il prit un air sérieux et nullement impressionné, espérant vainement que l'autre louve puisse croire qu'il n'avait pas du tout eu peur. Il se redressa de toute sa hauteur et s'éclaircit la gorge d'un toussotement. «Oh b...bonjour ! Tu es ..., commença-t-il, avant de se rendre subitement compte qu'il n'avait aucune idée de l'identité de la louve face à lui. Oups, mauvais départ. Il l'avait probablement aperçue dans le camp une fois ou deux, mais ne connaissait même pas son nom. Tout ce qu'il savait, c'est qu'elle n'était pas une ancienne Sekmet. En ce moment même, Torak aurait tout donné pour que son ami Nova soit là et rattrape son ignorance. Car il fallait l'avouer, la louve au pelage immaculé comme le sien avait un certain charme auquel le mâle n'était pas insensible. Et elle semblait relativement jeune, bien que plus âgée que lui. -Bref, moi c'est Torak !, reprit-il maladroitement.Comment vas-tu par cette belle journée ?» Il afficha son sourire le plus charmeur à l'encontre de la femelle, posant son regard ambré sur elle.
Sans vouloir aucunement me moquer, le cher jeune Torak devant moi me donne envie de partir dans un fou rire sans fin. Cependant, j'ai un minimum de savoir vivre malgré mon fort caractère, et je me retiens de le rendre plus ridicule qu'il ne l'est déjà. Si j'ai tout suivi, Torak n'était pas un Navnik avant, mais la fusion de nos deux meutes fait que nous nous retrouvons. Peut-être la fusion aurait-elle était différente, que je serai actuellement face à un autre louveteau, tout aussi maladroit, mais un autre. C'est fou, ce qu'un rien peut changer dans une vie. Je serai allée me balader ailleurs, mes pattes n'auraient pas foulé le même sol que le loup blanc. Au final, le destin a certainement décidé de cette rencontre, alors, je vais essayer de mettre un maximum de moi, pour la rendre agréable. Et cela commence, par un minimum de respect, en retenant le rire moqueur en travers de la gorge. Je secoue doucement la tête, pour enlever les quelques herbes qui restent dans la fourrure touffue de mon cou, avant de me secouer entièrement, faisant voler d'autres brins. La joie des pluies, puis du léger soleil : l'herbe est assez mouillée pour coller au pelage. Et du vert sur du blanc, ce n'est pas vraiment esthétique. Je vois aussi que je ne dis absolument rien à ce fameux Torak, et après avoir levée les yeux au ciel exaspérée, je me présente à mon tour.
« Moi, c'est Attaya. »
J'ai parlé un peu sèchement, et je baisse les oreilles en m'en voulant légèrement. Je me rends compte que quelques secondes après que la voix sèche, et les oreilles en arrière ne sont pas les meilleures choses à faire pour une bonne impression, alors, je redresse les oreilles, et me gratte la gorge pour répondre à la question qu'il a posé. Certainement par politesse, mais au moins, il a commencé une discussion, ce qui n'est pas plus mal. D'un autre côté, je me méfie de cet ancien Sekmet. Nous sommes peut-être alliés maintenant, mais nous ne l'étions pas avant la fusion. Cela m'oblige à ne pas le bouffer sur place, mais c'est tout non ? Je peux simplement lui dire que ça va, et partir, rien ne m'oblige de lui nettoyer les fesses. Pourtant, une petite voix au fond de moi me souffle que pour une fois, je pourrai faire des efforts. Bien, écoutons cette maudite conscience.
« Je me porte à merveille merci ! Le soleil me fait un bien fou. »
Lui poser la même question serait inutile, et bloquerait la discussion. Je me prends alors quelques secondes pour l'analyser. Pour un jeune, du moins plus jeune que moi, il est bien musclé, et commence à prendre des formes. Je suis certaine que dans deux mois, il me dépasse.
« Alors, comme ça tu es apprenti ? Tu as comme objectif de devenir quoi ? Sentinelle, chasseur ? »
Bon, clairement, cet engagement de sujet est nul, mais c'est un bon début. Je fais des efforts pour ne pas fermer une discussion, c'est déjà ça. Il suffit de prier sur un minimum d'intelligence à son égard, pour qu'il la continue sans broncher.
Alors que Torak s'attendait à une réponse immédiate ou même à un sourire en retour, la louve prend le temps de retirer les brins d'herbe de sa fourrure, s'ébrouant. Le jeune mâle resta planté là comme un idiot à l'observer avec un sentiment d'admiration mêlé d'incompréhension. Pourquoi les femelles tenaient-elles toujours à faire attendre leurs interlocuteurs avant de leur adresser la parole ? Mais bon, pour une louve comme celle face à lui, il attendrait des heures s'il le fallait. Ce fut finalement en levant les yeux au ciel que la jolie femelle mit fin à cette attente. «Moi, c'est Attaya. Elle venait de lâcher son nom d'un ton froid et distant, tout en prenant une posture légèrement, pour ne pas dire totalement agacée. Aussitôt, Torak détourna le regard, gêné. Bien joué ... Si il faisait cet effet-là aux autres femelles qu'il croisait, ce n'était pas étonnant qu'aucune ne veuille d'elle. Pourtant, qu'avait-il dit de mal ? Est-ce qu'elle avait mal pris le fait qu'il ne connaisse même pas son nom ? Torak se promis d'apprendre les noms de toutes les femelles à partir de demain, pour éviter ce genre de situations. -Je me porte à merveille merci ! Le soleil me fait un bien fou !, reprit Attaya. Torak se retourna de nouveau vers elle. Elle venait de changer de ton et d'attitude en une seconde, c'était à n'y rien comprendre. Il savait que les femelles étaient compliquées, mais à ce point-là ? Heureusement pour lui, Attaya semblait être de meilleure humeur et relança même la conversation immédiatement. -Alors, comme ça tu es apprenti ? Tu as comme objectif de devenir quoi ? Sentinelle, chasseur ?, le questionna-t-elle. Aussitôt, Torak reprit consistance et se redressa de toute sa hauteur, prenant un air fier et essayant d'avoir l'air le plus fort possible. Si il voulait l'impressionner, il devait se montrer sûr de lui et courageux en sa présence. -Je suis apprenti sentinelle. Je suis en bonne voie pour devenir aussi fort et talentueux que mon père, le grand Epsilon., annonça-t-il avec assurance. Il lança un nouveau sourire charmeur à la louve blanche. -Mais pas aussi talentueux que toi, bien sûr !, la complimenta-t-il. Quel est ton rang ?» Avoir l'air impressionnant et fort, fait ! La complimenter maintenant. Si il la noyait de belles phrases d'admiration et de mots gentils, elle finirait par l'aimer, n'est-ce-pas ?