Oh, sortez le champagne, le dégénéré de clebs provocateur que je suis n'est pas en train de rôder sur vos chers petits territoires! C'est tellement rare. Au moins quatre-vingt dix neuf pourcents de mon temps. Et, au vu du nombre d'avertissements musclés que je me suis pris sur ce qui allait m'arriver la prochaine fois - la même chose, c'est à dire trois griffures et quelques insultes, mais le leur dire ça les énerve - faire une croix sur ce petit pourcent restant serai peut-être pour l'instant une chose intelligente à faire. Je ne suis pas connu pour faire ce genre de trucs intelligents alors je vais être original pour une fois et rester à ma place, apparemment le coin des rebuts et d'autres solitaires dont personne ne veut ou qui ne veulent de personne - à quelle catégorie j'appartiens est un grand mystère. J'aurais plutôt dit que la mienne était "avec les humains à renifler vos carcasses fumantes bande d'enflures" mais la vengeance viendra en temps donné.
En tous cas, ce coin est suffisamment intriguant pour faire temporairement reculer ma rancune au second plan. Plus enfumé qu'un bombardement humain, j'aurais pas pensé ça possible. Par contre, c'est infiniment moins bruyant, et le cercle d'herbe qui représente autour de moi mon champ de vision semble hors du temps, avec mes pas pour seuls repères. Etouffés par l'air humide alentours, et j'ai l'impression d'être seul à des kilomètres à la ronde. J'ai du mal à me décider de si c'est plus effrayant ou excitant. Les deux à la fois, j'imagine. J'aime cet endroit, au final, malgré les trois crevasses que j'ai esquivées au dernier moment et l'absence totale d'odeurs de proies. Ce qui doit expliquer que ça doit faire deux bonnes heures que je tourne en rond ici, ça et les pensées qui fourmillent à l'arrière de mon crâne.
Toutes les bonnes choses ont une fin, j'ai songé en humant l'air et en étirant un sourire. Les bonnes choses se référant à la solitude de l'autre loup, personnellement, ma langue me démange assez pour que je n'ai pas envie de prolonger la mienne, et je suis assez insupportable pour faire regretter mon absence à n'importe qui. « Ca sent le louuup. » je lance, avec mon atroce ton de clébard amateur de sarcasmes. Aucune idée de où se trouve mon futur grand ami, mais il est proche, assez pour que je sente son odeur malgré la brume qui efface tout. « Tu viens m'chercher au nom de ta meute de toutous ou tu savoures ton statut de rebut sur pattes? » Et vu combien ce coin est paumé, je parie sur la seconde option. Alors, ennemi ou ennemi?
Quelle bonne idée Heda, t’aventurer dans ces terres totalement inconnues à la tombée de la nuit, qui plus est dans cette affreuse vallée de brouillard infernal. C’est bien sûr ce que t’a recommandé de faire ta mère toute ta vie durant « cours vers des contrées inconnues, là où la moindre rencontre pourrait te couter la vie, d’autant plus si tu es seule et inexpérimentée ». Toujours de bons conseils. Qu’est-ce que j’aurais fait sans elle ? Ah, une petite voix me dit dans l’oreillette que rien n’aurait changé. Enfin soit, feignons d’être reconnaissants. Après tout il s’agit de ma propre décision, quitter les miens et ces têtes que je connais depuis toujours, quitter ceux sur qui j’ai jamais pu compter (mais vraiment quand il y en avait besoin). Quitter ceux qui m’ont appris le minimum vital pour survivre. Enfin ça, c’est ce que nous allons expérimenter durant les jours à venir. Avec un peu de chance ce sera un échec retentissant et d’ici trois jours je serai morte. Quelle chance ce serait là ! Plus de douleurs, plus de doutes, plus de peines ni de soucis. La belle vie. Quoi qu’il y ait là-haut, cela ne sera jamais pire qu’ici. Me voilà alors tout fringante, tentant d’appréhender mon nouveau territoire. Aussi bien demain je serai de retour dans ma meute mais un petit quelque chose me dit que jamais au grand jamais je n’oserai avouer ni une faiblesse quelconque, ni un tort quelconque. Hors de question, plutôt me casser le cul à chasser moi-même mes proies et faire ami ami avec des guérisseurs exécrables. Des rumeurs courent cependant à propos de renégats solitaires avide de vengeance. Selon contre qui ils veulent se venger, je serai partante. D’ici là, j’aurais eu le temps de devenir aussi forte que besoin.
« Ca sent le louuup. »
Ainsi donc on ose me surprendre dans mes pensées, mais en plus ce n’est pas par le génie du coin apparemment. Tu pensais rencontrer un Dodo ducon ? Je vous jure, l’Apocalypse emmène les plus faibles, elle pourrait au moins faire l’effort de prendre les plus cons avec. Ce ferait du tri un peu. Quitte à prévenir de sa présence, autant lancer un « qui va là » avec la grosse méchante voix qui va avec, cela ferait sans doute plus d’impression. Ceci dit, le sujet lancé sur la voix, la sienne est loin de ressemble à toutes les autres que j’ai pu entendre. Quelque chose cloche. Aussi bien c’est lui le Dodo.
« Tu viens m'chercher au nom de ta meute de toutous ou tu savoures ton statut de rebut sur pattes ? »
Apparemment la fin du monde est aussi synonyme de restriction de voyelles. Que voulez-vous, nous manquons de budget à tous les niveaux. De plus ses talents de devins sont vraiment à chier. Je ne peux cocher ni la première ni la seconde case, alors ça m’embête un peu. Je vais placer ma croix dans le coin gauche. Gaucher, sinister, mauvaise augure … Cela n’aura certes aucun sens, mais ça sera fichtrement stylé.
« Tu penses réellement avoir tant d’importance que ça pour qu’une meute ai du temps à te consacrer, l’Exilé ? C'est plutôt pathétique. »
Fait chier, moi qui avais simplement pour but d’explorer le territoire, voilà que je tombe sur un des trois loups se battant en duel du coin. J’aurais pu esquiver ses paroles et repartir, mais l’occasion de s’amuser était trop bonne. Je n’ai pas pu y résister. Curieuse et maintenant avertie de sa présence, je m’approche de la voix et l’odeur en question. Il me tarde de découvrir ce spécimen.
« Tu penses réellement avoir tant d’importance que ça pour qu’une meute ai du temps à te consacrer, l’Exilé ? C'est plutôt pathétique. » Je vais commencer à compter le nombre de secondes moyen avant que quelqu'un ne me fasse une remarque désobligeante à chaque rencontre. Il doit être assez bas, je crois. « Pathétique est mon deuxième nom. Sale type est le premier, mais ça passe pas super bien, donc j'en ai trouvé un normal entre temps quand même. » Et tant qu'elle ne me demandera pas, j'ai tout mon temps pour réfléchir à un candidat intéressant. Dust, c'est déjà grillé, avec l'autre folle aux yeux rouges, je vais pouvoir faire appel à mon super-pouvoir d'avoir mes idées de mensonge à l'instant même où je les raconte pour en trouver un autre.
« Si ils avaient rien à foutre de moi, j'serais pas dans ce coin paumé à constater qu'il me reste à peu près deux mois à vivre... » J'ai plissé les yeux en la voyant approcher dans la brume, le bout de ma queue jouant un rythme frénétique et incontrôlé. Bon, à la case "raison de sa présence ici", je peux désormais émettre l'hypothèse "parce qu'on s'y camoufle très bien". Entre la brume et son pelage, je distingue à peine sa silhouette à quelques mètres de moi. En solitaire, hors d'ici, ça doit être marrant, une couleur pareille tiens. Je suis presque étonné de ne pas la voir un peu plus maigre que ça... Mais vu le coin, je m'inquiète pas trop, ça ne saurai tarder. Eh, j'te dirais bonjour quand tu seras à moitié morte de faim en plein été parce que Mère Nature ne t'a pas gâtée. Ou t'apprendras à voler sur le tas, si moi j'y arrive, un louveteau attardé peut faire pareil. « Il paraît que j'l'ai cherché. Moi je dirais plutôt que c'était de la légitime défense, après toutes les saloperies que vous m'avez faites sans raison. Et que vous vous cherchez des prétextes pour justifier que vous supportez pas les clébards. Au moins vous m'épargnez d'avoir à en chercher pour vous rendre la pareille. »
« En attendant, t'as pas répondu à ma question, à part émettre des évidences me concernant. » je reprends en faisant quelques pas à sa droite, ma saleté de sourire toujours scotchée sur le visage. Que je sache si je me prépare à l'embuscade de loups enragés embusqués dans la brume ou pas.
Vous savez quoi ? Cette rencontre s’annonce terriblement ennuyante finalement. Au premier abord le petit solitaire avait l’air vigoureux, un peu sournois et grande gueule, mais au final il me déçoit beaucoup. Tout cela ne semblait être qu’une bien frêle façade. Cet être, bien que décevant, pourrait au moins m’occuper pour un temps. En tant que solitaire, la vie est beaucoup plus ennuyante maintenant. Il n’y a plus de règlements de comptes à observer dans la meute ni quoi que ce soit d’autre. Il faut juste survivre. C’est ennuyant, survivre. « Pathétique est mon deuxième nom. Sale type est le premier, mais ça passe pas super bien, donc j'en ai trouvé un normal entre temps quand même. »
Nous avons donc à faire à un comique ? Il n’est pas très convaincant. J’ai certes employé le mot pathétique une seule et misérable fois, mais qu’il ne pense pas pour autant que je le prendrai en pitié pour si peu. S’il doit mourir il mourra et basta, un loup de moins à nourrir sur ces terres. Où est le mal ? Je suis tellement lasse que je ne veux pas perdre de force à lui répondre davantage pour cette fois ci. Cela ne ferait que le conforter dans ses lamentations.
« Si ils avaient rien à foutre de moi, j'serais pas dans ce coin paumé à constater qu'il me reste à peu près deux mois à vivre... Il paraît que j'l'ai cherché. Moi je dirais plutôt que c'était de la légitime défense, après toutes les saloperies que vous m'avez faites sans raison. Et que vous vous cherchez des prétextes pour justifier que vous supportez pas les clébards. Au moins vous m'épargnez d'avoir à en chercher pour vous rendre la pareille. »
Voilà donc qu’il est un pauvre loup mourant désormais … Oh mais j’oubliais : nous le sommes tous. Il est seulement le seul à se prendre pour Nostradamus et à prévoir le temps qu’il lui reste. Nous redeviendrons tous poussière d’ici peu. J’aurais pu être curieuse et me demander quelle est la connexion entre les meutes et son exil (enfin, un exil de l’exil, vu que nous étions tous en exil il y a peu) mais je ne le suis pas. Cela a sans doute un rapport avec sa mort annoncée. Enfin, à vrai dire c’est quasiment sûr. Il a l’air bête, certes, mais il ne doit pas l’être tant que ça sinon il n’aurait pas survécu. Quoi que ? Pour qui se prend-il cet avorton pour me parler de filiation. Qu’il descende de chiens ou d’hérissons que j’en aurais rien à foutre. Il sera toujours autant considéré comme un moins que rien, même si ses deux parents étaient des loups. La raison ? J’aurai toujours un meilleur sang que lui. Plus pure, plus noble. Bien loin que de la gale dont il clame descendre au premier inconnu venu. Généralement si on cherche à cacher quelque chose dont l’on n’est pas fier, on évite de le crier. Enfin, je dis ça mais après j’ai peut-être tort. Nous ne sommes pas tous égaux, quoi qu’on en dise. Certains sont faits pour régner, d’autres pour vivre dans la boue en paria. « En attendant, t'as pas répondu à ma question, à part émettre des évidences me concernant. »
Et c’est la pâquerette sur la gâteau. Nous descendons de Charybde en Sylla niveau intelligence. Primo, je n’ai émis aucune évidence puisque je n’en ai rien à carrer de sa simple personne. Secundo, bon sang que si j’ai répondu à sa stupide question de stupide loup. Cela s’appelle de l’omission. Un concept que j’ai appris dès la plus tendre enfance pour éviter les questions épineuses, mais qui ne doit absolument rien lui dire à lui l’abruti de la brume. Du temps qu’il me fasse son ennuyeux et horriblement long discours, j’ai pu discerner d’où venait le son de cette voix si atypique et enfin arriver à m’en approcher. La brume est épaisse mais je suis désormais certaines de me trouver face à lui. J’arrive à discerner le contour de son corps, maigre et peu corpulent. Un avorton, comme je le disais.
« T’es toujours aussi bavard ? Parce que t’es sacrément chiant quand même, tu passes pas trois secondes sans te plaindre au premier inconnu venu. T’en tiens une couche niveau connerie. Sache que j’en ai rien à foutre de toi ni même de qui tu tiens. Nous n’avons et n’aurons jamais rien en commun. Le « nous » dont tu parles n’existe pas. » ou plus du moins « Si tu cherches quelqu’un à blâmer t’as qu’à assumer et citer des noms. Ici c’est chacun pour soi, tu devrais bien le savoir ô grand ma-vie-est-nulle-et-tout-le-monde-est-méchant. » Je m’assois. Je ne crains rien de lui, et n’ai pas la foi d’engager un quelconque et inutile combat de toute façon. « J’ai déjà répondu à ta question, suffirait seulement que t’y réfléchisse. Mais ça me paraît un peu compliqué pour toi, hein ? Tu m’as pas l’air très fûté. »
« T’es toujours aussi bavard ? Parce que t’es sacrément chiant quand même, tu passes pas trois secondes sans te plaindre au premier inconnu venu. T’en tiens une couche niveau connerie. » T'es pas la seule à me le dire, si ça te rassure, ma grande. D'ailleurs, tu t'entendrais vachement bien avec la dernière qui me l'a craché, vous avez l'air aussi aimables l'une que l'autre, j'devrais vous présenter, tiens. « Sache que j’en ai rien à foutre de toi ni même de qui tu tiens. Nous n’avons et n’aurons jamais rien en commun. Le « nous » dont tu parles n’existe pas. Si tu cherches quelqu’un à blâmer t’as qu’à assumer et citer des noms. Ici c’est chacun pour... » Je ne peux pas empêcher mon propre détraqué de cerveau de faire le lien avec une certaine louve noire rencontrée pas si loin d'ici, et mon sourire de s'étirer en un rire à peine retenu en plein milieu de son beau discours. Et d'ignorer le reste en imaginant Kira à sa place, tellement la ressemblance est frappante. Pas physiquement, et c'est d'autant plus décalé, puisqu'elle en est l'exact inverse, toute claire qu'elle est. Enfin, grisâtre plutôt, mais bel et bien une louve blanche au final. En tous cas, on dirai qu'il y a définitivement une épidémie de sale caractère chez les solitaires du coin, qui va plutôt bien avec le mien, de caractère insupportable.
Mon attention a eu toutes les difficultés du monde à revenir sur la louve quand elle reprend la parole en s'asseyant nonchalamment. Dis, je te gêne pas, non plus? « J’ai déjà répondu à ta question, suffirait seulement que t’y réfléchisse. Mais ça me paraît un peu compliqué pour toi, hein ? Tu m’as pas l’air très fûté. » Au moins, elle a l'air moins à deux doigts de vouloir m'arracher la tête que l'autre guérisseuse, malgré sa tendance à avoir un rythme d'insultes à la seconde étonnament élevé - presque assez pour m'impressionner, tiens, si j'en avais pas l'habitude - on va dire que c'est un bon point. Vu le nombre de loups qui ont essayé de m'étriper ces derniers jours, c'est même un excellent point. Bon, dans l'ordre... « Ouais, il paraît que je suis super emmerdant. Va demander leur avis aux gusses du coin, plus personne m'supporte ici. » La gusse en question se reconnaîtra dans le public qui m'observe depuis l'intérieur de mon crâne. D'ailleurs, ça s'applique à plein de gens de toute façon, comme mon autre ami de l'expédition en terres humaines, qui m'aime bien maintenant lui aussi. Je vais pouvoir rajouter ma nouvelle connaissance sur la liste, tiens. « Et j'citerais bien des noms si ils avaient pris la peine de me les donner, j'suis trop chiant pour ça. » Je n'ai pas pu empêcher mon sourire de revenir à la charge en reprenant ses termes. « Si, y'a Kira, l'empoisonneuse du coin, j'suis sûr que vous allez être potes d'ailleurs. La même réaction en me croisant et la même gueule d'asociaux maladifs. Son pote guérisseur aussi, il veut ma peau, pas ma faute si il a du mal à tuer un pauvre clebs qui lui veut bobo. Vous feriez un chouette trio de misanthropes, tiens. » Ca doit être la mode ici. Même les clébards du camp que je squattais étaient plus amicaux quand je les approchais. Peut-être aussi parce qu'ils espéraient me faire la peau par derrière, mais bon.
« J'peux connaître le tien, que j'le cite au prochain grognon qui m'pose la question? Le mien, c'est Saerän, si tu veux me rendre la pareille. » Et non, tous les signaux subtils du monde ne me pousseront jamais à laisser quelqu'un tranquille après avoir commencé à l'emmerder, la susdite guérisseuse peut témoigner. Dans mon dos, ma queue surexcitée continue son manège, indifférente à la conversation qui se tient à quelques mètres d'elle. Je suis resté debout - s'asseoir, moi? haha - avec mon air de sale type moqueur ou d'attardé, barre la mention inutile, non sans échouer à empêcher mon regard de glisser le long de son cou et mes crocs de me démanger après autant de bagarres injustifiées avec des inconnus. Tu comptes peut-être pas te battre, mais on m'a assez agressé récemment pour que je reste sur le qui-vive, aussi peu menaçante et faiblarde que tu peux paraître par ailleurs. Tiens, enfin un adversaire sur qui j'aurais une maigre chance de gagner, pour une fois.
La brume se fait tantôt plus épaisse, tantôt moins. Lorsqu’elle se dissipe elle me permet d’entrevoir le chialeur face à moi. Il ne semble rien avoir pour lui. Bien que plus âgé, il paraît tout aussi fétiche que moi, alors que je viens à peine de finir mon apprentissage et ne me suis pas encore attelée à un entraînement strict. Parfois il me semble apercevoir deux lueurs différentes dans ses yeux. Cela est sûrement dû à la brume cependant, les loups aux yeux vairons sont bien trop rares. Tout autant que son attitude, il apparaît davantage atypique. Être atypique dans le monde dans lequel nous vivons n’est pas signe de longitude. Nous verrons bien si je le recroise un jour. Bien qu’il ne rayonne pas d’intelligence ni même de dignité, il me semble curieux. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il en est intéressant, je ne suis pas encore sénile, mais il a quand même quelque chose pour lui au fond. Même si je joue les gros dures sans cœur et associable, je m’intéresse au monde qui m’entoure. J’observe dans l’attente de plus gros projets, dont moi-même je n’ai pas encore les fondations bien précises en tête. Cela ne saurait tarder. La révolution est en marche. S’ensuivit de longues élucubrations de la part du solitaire, quelques noms ressortirent mais aucun qui ne me titilla l’oreille. Il joua de nouveau au grand méchant, mi outré mi menaçant, essayant de se montrer meilleur que moi. Il est plus âgé, sûrement plus expérimenté et bien que faiblard il l’est moins que moi. Cependant il n’a pour avantage que son ancienneté, ce qui veut aussi dire que la fin est déjà proche pour lui. Dans un monde tel que celui-ci, peu de loups dépassant cinq, six ans. Les causes de la mort peuvent être délicieusement variées. Je sais bien que dans quelques mois, notre force aura changé, tant pour l’un que pour l’autre. Je suis prête à parier que la mienne sera infiniment plus élevée. Dans le lot, il cita un guérisseur apparemment. Cela aurait pu m’intéresser mais je sais que si – quand – j’aurai besoin d’un tel service, j’appellerai au secours mon grand oncle Zephyr. Il est devenu guérisseur et me sera d’un très grand secours. Nous n’avons jamais été proches mais après tout il est fils d’Atom. Nous avons la Chimère en commun, cela devrait signifier quelque chose. Pour moi en tout cas, la famille passe au premier plan. Il me reste encore à définir jusqu’à quel degrés de famille je peux aller, la faible population lupine des environs ayant à peu près tous copulé entre eux. Les plus importants sont les Oubliés, les Dragons pour Isha ainsi que les Eternel pour Athos et enfin les Ardent pour mon père, bien que cela rejoigne assez vite l’ancienne meute Esobek.
« J'peux connaître le tien, que j'le cite au prochain grognon qui m'pose la question ? Le mien, c'est Saerän, si tu veux me rendre la pareille. »
Que ce soit son vrai ou nom m’importe peu. Ce ne sont que les prémices de mon plan comme je l’ai dit, nous aurons bien d’autres occasions de nous recroiser. Les terres neutres semblent propices aux rencontres en tout genre. Néanmoins celui qui choisit est original, il sonne avec une douce mélodie à l’oreille. Il est peut être bête, mais a de bons goûts.
« Mon nom est Heda. » Heda, celui qui dirige. « Je suis Rédemption Oubliée, héritière d’une meute perdue. J’aurai ma vengeance, dans cette vie ou dans l’autre. »
Mais plutôt dans cette vie. Chimère Oubliée, Héritage Oublié, Combat Éternel, Étoile Damnée, tous ont régné et leur sang coule dans mes veines. Je ne me contenterai pas d’être un des rouages de la machine. Je veux être celle qui la dirige, celle qui la confectionne. Je veux être la machine qui ramènera la gloire d’antan, la gloire que mon nom mérite tant. Les fautifs, les traîtres et les déserteurs payeront de leur lâcheté.
« Pourquoi prends-tu la peine de vivre, Saerän ? Quelle est ta motivation ? Cette motivation si forte qu'elle te pousse à résister à tous ces malheurs. » Aucune ironie dans ces mots. Cette question est infiniment importante.
Dernière édition par Heda le Ven 13 Juil - 15:44, édité 1 fois
« Mon nom est Heda. Je suis Rédemption Oubliée, héritière d’une meute perdue. J’aurai ma vengeance, dans cette vie ou dans l’autre. » Ouh, mais c'est qu'on est digne et dramatique avec ça. Dommage qu'en étant solitaire, le statut de princesse n'empêche pas de mourir de faim, ni des humains, ni empoisonné, ni tué par un loup un peu taquin, donc c'est bien la peine d'être fier de son futur statut d'alpha d'une meute inexistante. Ceci dit, ça explique pas mal son revendiqué je-m'en-foutisme de ma vie personnelle, si elle se considère si bien. Dommage qu'en fait, en solitaire, tout le monde s'en fout un peu.
Enfin, peut-être pas moi, avec cette histoire de vengeance. Je n'ai pas pu empêcher une de mes oreilles de se diriger vers elle à la fin de sa phrase, subitement bien plus intéressé par cette rencontre qu'il y a cinq secondes. Vengeance contre qui, si sa meute a disparu? Disparu dans quel sens, d'ailleurs? Cette conversation devient franchement intéressante. Ca a l'odeur de magouilles et de traîtrises qui me fait rappliquer à des kilomètres à la ronde. Ma langue est passée sur mes babines, franchement excité d'en savoir plus cette fois. « Pourquoi prends-tu la peine de vivre, Saerän ? Quel est ta motivation ? Cette motivation si forte qu'elle te pousse à résister à tous ces malheurs. » Question intéressante pour une fois, c'est pas comme si je me la posais très souvent non plus. J'ai fait mine de réfléchir, philosophe, avant de reprendre la parole sur un air d'indifférence supposément sage - en fait, plutôt franchement ironique. Dommage pour toi, rester sérieux en répondant aux gens n'est pas mon grand talent dans la vie. « Je dirais, pour la partie des malheurs, que la plupart des malheurs qui me tombent sur la gueule sont des gens qui ont voulu me tuer et que j'ai un très fort esprit de contradiction. Sinon, oui, la vengeance, tout ça, une excellente idée, plan d'avenir fabuleux, j'aime bien, les guerres entre vous sont toujours marrantes de toute façon. Mais rien que d'être en vie, j'me venge de tout le monde, donc c'est plutôt limité me concernant, pour l'instant... » Sauf si tu m'en dis plus sur la tienne, de revanche, je complète dans mon crâne sans la quitter du regard, en ne faisant pas trop d'efforts non plus à cacher mon intérêt pour ses projets futurs. Et pour tout ce que vous m'avez fait subir, vous mériteriez tellement pire que ma seule présence, tellement pire qu'un solitaire un peu provocateur qui crache à la gueule de vos frontières. Tellement pire que tout ce que j'ai fait jusqu'ici.
« C'est bien la peine d'être héritière d'une meute perdue, tiens. T'hérites de quoi, du coin de terre où vous faisiez pipi pour hurler sur tous ceux qui franchissaient vos frontières? Autant trouver un rocher au milieu d'une plaine et gueuler que tout ce que tu vois t'appartiens, les gens t'respecteront tout autant. Et perdu, c'est quoi, les vilains toutous humains qui ont fait bobo à mort à tous tes potes et t'es tragiquement la seule survivante, ou une histoire de politiques douteuses qui ont évincé tes mignons parents? » Et je place tous mes espoirs en la seconde option, qui m'offrirai bien plus de possibilités à l'avenir qu'une pauvre solitaire sans meute qui veut zigouiller des humains en guise de vengeance. Quoique, ça peut être marrant aussi, et un bon moyen de s'approcher d'eux, mais ça je peux déjà le faire seul avec moins de risque. Allez, dis m'en plus, j'en meurs d'envie, c'est écrit sur mon pif, là.
Le loup se fait attendre, semble indécis. Il prend son temps et cela commence à m’énerver. Il me fait m’impatienter par ses réponses plus bêtes les unes que les autres et son air encore plus condescendant que moi. Comme quoi tout est possible apparemment ! Qui l’eût cru. Sa réponse n’est pas celle que j’espérais et bien au contraire, elle en est loin. Cependant je garde une lueur d’espoir, il n’est peut-être pas perdu. Je devrais pouvoir tirer quelque chose de ses paroles. « Je dirais, pour la partie des malheurs, que la plupart des malheurs qui me tombent sur la gueule sont des gens qui ont voulu me tuer et que j'ai un très fort esprit de contradiction. Sinon, oui, la vengeance, tout ça, une excellente idée, plan d'avenir fabuleux, j'aime bien, les guerres entre vous sont toujours marrantes de toute façon. Mais rien que d'être en vie, j'me venge de tout le monde, donc c'est plutôt limité me concernant, pour l'instant ... »
Encore et toujours il se pense centre du monde, grande Raison pour laquelle des meutes n’ayant jamais eu vent de son existence s’entretueraient. A nouveau il redevient pathétique. Mais j’arrive à un tel point qu’il m’ennuie simplement, il n’y a plus aucune pitié dans mon regard (déjà qu’il n’y en avait pas beaucoup). Je ne lui ai jamais demandé d’expliciter les pauvres petits malheurs que sa pauvre petite personne a vécu – je m’en contrebalance. Il n’est qu’une brindille sur mon chemin, qui peut bien en avoir quelque chose à faire d’une brindille ? Elle a été laissée au soleil ? Est restée dehors une nuit d’averse ? La pauvre. A-t-elle vu toutes les autres brindilles de sa famille mourir une à une sous ses yeux ? Certainement pas. De même pour l’autre imbécile, les seuls malheurs qu’il a vécus sont apparemment des retours de bâtons bien mérités et exclusivement ciblés sur sa petite personne sans importance. Ô quels malheurs. La vie est donc tellement injuste au point que l’on doive payer pour nos actes ? Ca alors. Même quand il est question de vengeance d’une meute toute entière il reporte la question sur lui-même. Son égocentrisme repousse apparemment les limites. Une guerre de meutes ? Oh ca L’amusera. Une vengeance ? Ca L’amusera. Tout L’amusera apparemment. Cela sera beaucoup moins le cas quand chaque loup devra choisir un camp, quand les déserteurs et les indécis seront exterminés. Au fond de moi, je sais quelle option il choisirait malgré lui, et c’est pas joli à voir.
« C'est bien la peine d'être héritière d'une meute perdue, tiens. T'hérites de quoi, du coin de terre où vous faisiez pipi pour hurler sur tous ceux qui franchissaient vos frontières ? Autant trouver un rocher au milieu d'une plaine et gueuler que tout ce que tu vois t'appartiens, les gens t'respecteront tout autant. »
Serait-il bête ou fait-il exprès ? N’a-t-il jamais entendu parler d’Exode ? Qui est-il pour ignorer ça ? Chaque putain de meute a tout perdu en ce qui concerne les terres, même celles où on faisait pipi. Puérile et imbécile, deux définition lui collant très bien à la peau. Ajoutons y égocentrique et son portrait est bouclé. Il ne manque plus que l’histoire sûrement déchirante de son enfance pendant laquelle Maman en préférait toujours un autre. Ouin ouin. De plus il confond maladroitement héritière et princesse, tel un loup des champs qu’il est. Je suis l’héritière de cette meute car le sang d’un fondateur coule dans mes veines, mais je n’en suis pas pour autant la princesse. Les dirigeants changent avec le temps.
« Et perdu, c'est quoi, les vilains toutous humains qui ont fait bobo à mort à tous tes potes et t'es tragiquement la seule survivante, ou une histoire de politiques douteuses qui ont évincé tes mignons parents ? »
Ni l’un ni l’autre Nostradamus. Ses tentatives pour essayer de m’énerver sont vaines, il est chiant mais pas autant que je pourrais l’être. Il ne s’attaque pas au cœur du problème. Pourquoi ? Sûrement parce qu’il ne l’a pas trouvé. En d’autres cas il se serait sûrement jeté dessus. C’est aussi ça le problème d’avoir une intelligence inférieure à la normale, on ne peut pas toute faire dans la vie. La seule chose dans laquelle il ne semble pas trop mauvais, c’est soutirer des informations. Il le fait sans aucune discrétion, mais bon il essaye. C’est le principal comme on dit. Je choisis ou non de lui dévoiler certaines choses, certains indices. Je doute qu’il puisse tout comprendre après tout.
« Ni l’un ni l’autre Nostradamus. Tu es bien loin de toute vérité possible, tu ne comprends même pas ce que pourrait être une meute. Au-delà de terres éphémères, c’est surtout un groupe de loups et des valeurs, choses qu’un solitaire ne peut connaître. J’ai hérité de ces valeurs qu’on m’a inculqué, la direction des loups revient cependant aux Leaders comme tu sembles sans aucun doute l’ignorer. Enfin, cette meute n’est pas perdue à cause d’humains ni même de mes mignons parents évincés. Tu essayes de joueur au plus fort, mais tes tentatives pour me faire sortir de mes gonds (ou je ne sais quoi encore) sont toujours plus misérables. Mais tu veux réellement connaître l’histoire du Feu des Légendes ? Je t’en conterai la fin pour débuter. Elle se termine par des dirigeants affaiblis mentalement et physiquement par un Exode interminable acceptant un accord inégal avec une autre meute, sous prétexte de fusion. Boum. Plus de meute, que des imbéciles se voilant la face. Et c’est ainsi que naît un esprit de vengeance pour une Héritière. »
Oh, on dirai que j'ai enfin atteint le point racontage de vie de sa part dans la discussion, c'est pas trop tôt dites donc. « Ni l’un ni l’autre Nostradamus. Tu es bien loin de toute vérité possible, tu ne comprends même pas ce que pourrait être une meute. Au-delà de terres éphémères, c’est surtout un groupe de loups et des valeurs, choses qu’un solitaire ne peut connaître. J’ai hérité de ces valeurs qu’on m’a inculqué, la direction des loups revient cependant aux Leaders comme tu sembles sans aucun doute l’ignorer. Enfin, cette meute n’est pas perdue à cause d’humains ni même de mes mignons parents évincés. Tu essayes de joueur au plus fort, mais tes tentatives pour me faire sortir de mes gonds (ou je ne sais quoi encore) sont toujours plus misérables. Mais tu veux réellement connaître l’histoire du Feu des Légendes ? Je t’en conterai la fin pour débuter. Elle se termine par des dirigeants affaiblis mentalement et physiquement par un Exode interminable acceptant un accord inégal avec une autre meute, sous prétexte de fusion. Boum. Plus de meute, que des imbéciles se voilant la face. Et c’est ainsi que naît un esprit de vengeance pour une Héritière. » Valeurs effectivement très importantes pour survivre, c'est indéniable. Et à part ne pas paraître ridicule, j'ai un peu de mal à en voir l'utilité, donc il y a au moins une pique acerbe dans ce beau discours qui doit s'avérer vrai - même si, vu le nombre de vacheries qu'elle me balance à la figure, ça doit sûrement aider beaucoup à ne pas se suicider juste après lui avoir parler. C'est qu'elle n'est pas très amicale, l'héritière, récupérer sa meute en crachant sur tout le monde promet d'être une sacrée affaire. Et, malgré mon envie grandissante de lui balancer un bon coup de pattes - si elle refuse autant l'affrontement physique, je peux l'y aider un peu - j'ai quand même fait l'effort de l'écouter jusqu'au bout sans l'interrompre. Assez rare, me concernant, pour être noté.
Une histoire fort intéressante, donc. Pour ce qui est du passage inattendu de trois meutes à deux à la fin de l'exode, c'est au moins une bonne explication de faite. Et ça n'a pas fait que des heureux, vu celle qui déblatère en face de moi, et je n'aurais pas mieux espéré comme première distraction en arrivant ici que des tensions intestines au milieu même des meutes, au point où des petites princesses décident qu'aller vivre en solitaire est quand même plus amusant que de renoncer à son sang royal. « Très sympathique histoire. » je finis par répondre, la langue passant sur mes babines. « Effectivement, il doit me manquer quelques cases niveau valeurs de meute, vu mon absence totale d'empathie ou de fierté, pour toi, ta meute ou tes pauvres leaders arnaqués, mais vu ce dans quoi ça vous embarque, je suis pas vraiment certain d'en être triste non plus. » J'en suis même très heureux, d'être une raclure. Après tout, j'ai littéralement survécu pendant presque deux ans en traînant ma dignité dans la poussière, c'est pas maintenant que je vais me réveiller un beau jour en me disant que je vais devenir un preux chevalier. Tous les chiens que j'ai vu se faire déchiqueter dans l'arène parce qu'ils se trouvaient trop d'honneur et de fierté pour m'imiter ne feront jamais que me conforter dans mon point de vue - l'honneur est une idée très utile pour ceux qui ne tiennent pas trop à la vie. Pas encore mon cas, dommage pour vous.
« Probablement ce que pensaient aussi les susdits imbéciles, d'ailleurs. Entre l'honneur et l'intégrité et une chance de survie dans le coin, je crois que tout le monde n'a pas autant de fierté à ses Valeurs que Madame l'Héritière de la Grande Meute Feu des Légendes. » J'ai appuyé sur les derniers mots avec un ton faussement cérémonieux insupportable. Et retour de mon joyeux sourire, au passage. « Alors qu'est-ce que tu comptes faire? Aller voir les gusses de ton ancienne meute et leur dire "hey, en fait les patrons ils ont pris une décision de merde, ralliez vous à moi je suis tellement plus sage et expérimentée et une valeur sûre pour votre avenir incertain"? Sûrement qu'ils seront terriblement enjoués à l'idée de te suivre pour accomplir tes petits caprices de pouvoir de princesse déchue. » Surtout vu son apparence de jeunette à peine adulte. Elle peut être fille de qui elle veut, entre elle et son idée de belles valeurs et de vengeance et un loup plus âgé qui me propose de quoi survivre sur le long terme, je sais où je vais. La politique est définitivement une histoire d'idiots qui n'ont que ça à faire de leur vie. On verra si ça la motivera toujours autant en pleine famine, de mettre des claques à son grand ennemi de toujours...
A la longue son ironie lancinante devient réellement ennuyante. Prendre des grands aires, imiter une voix, etc … Cela fonctionne quelques minutes, mais après ce n’est plus le cas. La routine est la même, elle se répète indéfiniment, c’est lassant. Je vais y répondre avec des mots cassants, il en fera de même, bla bla bla. Je n’écoute plus vraiment ce qu’il dit, le sol semble tout à coup bien plus intéressant que n’importe quoi. Il est à peine visible à cause de la brume, cela le rend mystérieux, mystique presque. On peut apercevoir des craquelures, je les sens sous mes coussinets. La terre manque d’eau, comme tout le reste de la faune et de la flore. Mon étreinte se resserre sur la terre sèche, mes griffes se plantent dans le sol sans difficulté. J’aurais aimé pouvoir faire la même chose sur la gorge du solitaire. Lui, cloué au sol, moi une seule patte sur sa gorge exposée et sans défense. Des griffes un peu trop plantées, un coup de croc accidentel, et pouf, mort. Cela ne serait sûrement pas une grande perte pour l’espèce lupine ni même pour la bonne conduite de mon plan. Ce loup est un traître, on ne peut définitivement pas lui faire confiance. Je ne peux pas le rallier à mon plan de quelque façon que ce soit, il n’est pas fiable. A la moindre secousse il quittera le navire tel un rat. Une autre proposition et il s’en ira. Une faiblesse de notre part et il partira aussi. Peu importe le plan qu’on me propose, s’il inclut CE loup, alors je le refuserai aussitôt, aussi alléchant soit-il. Il m’est impossible de lire en lui, impossible de savoir ce qu’il pense réellement ou même ce qu’il compte faire. Je sais bien que je ne suis pas une télépathe, mais lire dans certaines personnes est parfois facile, parfois moins, mais on arrive toujours à savoir quelque chose grâce aux expressions physiques. Avec lui, c’est impossible. C’est sûrement dû à son croisement avec un chien, eux n’ont pas les mêmes attitudes que nous les loups. Il me serait impossible de discuter avec un chien et de le comprendre, le langage corporel est différent, tout comme nos mots. Princesse déchue. Ce sont les derniers mots que j’entends de la part du solitaire, il sembla avoir fini son interminable discours blablabla je suis supérieur à toi pauvre petite louve avantagée. Oh mais quel avantage de perdre un à un les membres de ma famille et tout ce qu’elle avait construit, mais c’est pas grave après tout, je suis toujours une Oublié. Au-delà de la signification de ce nom en tant que lignée, sa signification en tant que mot à part entière pourrait bien prendre tout son sens, à mon plus grand désespoir. Piquée par la curiosité et souhaitant mettre un terme à notre ennuyeux cercle vicieux, je lui pose une question sans aucune arrières pensées. Le nom de lune signifie tant de choses.
« Dis-moi, Loup, quel est ton nom de lune ? »
Finalement rongée par les remords, je me dis qu’il faudrait quand même je lui réponde un petit quelque chose. Je ne compte pas lui chercher de noises encore une fois, sinon ça va recommencer à nouveau. Surtout que j’en ai marre de ce petit jeu qui ne m’amuse dorénavant plus du tout.
« Je ne suis pas une princesse, et c’est bien là toute la force de mon plan. »
Le problème étant que beaucoup de loups externes le pensent, or ce n’est pas le cas et cela ne l’a jamais été. Même au temps du Feu des Légendes, j’étais une louvette parmi d’autres. Le rang de princesse ne fonctionne plus quatre générations après qu’un parent ai été alpha, fondateur ou non. Les loups ont vite tendance à oublier à qui ils doivent tout ce qu’ils possèdent. Mais ces derniers seront toujours plus à même à suivre un congénère de paname plutôt qu'un né dans l'élite de la meute. Quoi qu'on dise, on pense tous la même chose des princes et princesses. Ce sont tous de putains de privilégiés.
« Dis-moi, Loup, quel est ton nom de lune ? » Je crois que la question m'a surprise. Ca n'est pas une question très commune non plus, et je n'y vois pas des masses de rapport avec mes dernières remarques. En fait, c'est même la première fois qu'on me demande ça depuis mon arrivée dans le coin. Je dois être déjà assez chiant quand on n'essaie pas d'engager de conversation sérieuse avec moi sans qu'on ne se mette à vouloir me connaître non plus. Et puis, les loups consentant à donner leur vrai nom de lune ne doivent pas être bien communs non plus, dans le coin... « Je ne suis pas une princesse, et c’est bien là toute la force de mon plan. » elle finit par rajouter alors que je soupèse la question, et je trouve cette réponse assez décalée après son étalage de sa volonté de faire honneur à son sang d'héritière de la meute. Oh, je me doute bien que ça n'est pas le sens de ce qu'elle vient de dire, mais prise littéralement, c'est assez marrant, et j'y aurais bien répondu si je n'avais pas déjà toute une réflexion en cours sur l'importance que j'accorde à mon nom de lune.
Au fond, qu'est-ce que je perds à le lui donner? Je suis le seul Traître ici, et personne d'autre ne le connaîtra. Pour peu que la prochaine personne qui me le demande reçoive une réponse qui n'a rien à voir avec la vérité, personne n'aura aucun moyen de faire le lien avec le loup qu'elle a rencontré ou deviner lequel des deux est le bon. « Et qui te dit que j'ai envie de te le révéler...? » je souris quand même en haussant un sourcil, parce que le lui donner sans une autre petite pique gratuite aurai été bien triste de ma part. J'ai quand même récupéré un air un iota plus sérieux en reprenant, avant qu'elle n'aie le temps de répondre. « Masque du Traître. Comme quoi, c'est bien la peine de ma part de faire le moindre effort pour rester digne si c'est littéralement inscrit dans mon nom que je serais à jamais une raclure. Pas que ça me déplaise, par ailleurs... » Euphémisme. Je n'aurais pas pu mieux tomber, au vu de mon existence actuelle, comme véritable nom pour ma vie de sale enflure insupportable.
« Une Héritière Oubliée qui devient solitaire par honneur et rencontre un Traître. Ca ferai une jolie histoire. » Quand je disais que les terres neutres étaient le coin des rebuts en tout genre, j'avais au final on ne peut plus raison. J'imagine qu'après une désertion comme la sienne, il y a peu de chances que la nouvelle meute qu'elle abhorre tant tolère qu'elle ose remettre une patte sur leur territoire. A moins que son beau projet n'aboutisse un jour, j'imagine que ça ne fera qu'un autre loup vivant ses derniers jours en solitaire. Joli comble pour une ancienne membre de meute de sang royal. Dommage que le destin ne fasse pas grande distinction entre les princes et les ratés de la nature, dans le coin. « On verra bien si ta force de non-princesse sera suffisante à contrer celle d'un loup adulte et entraîné, alors... Sinon, j'irais dire bonjour à ton cadavre quand ils découvriront tes projets. »
Une dernière petite attaque et il se dévoue enfin pour me donner son nom de lune. Ce dernier ne laisse aucune place au doute, comme je m’y attendais. Masque du Traître, c’est révélateur au plus haut point. Tant la première que la seconde partie est dure, sans aucune once d’empathie. Ma pseudo analyse psychologique s’était révélée exacte, la Nature ne se trompe jamais. Autant la seconde partie provient de ses ancêtres et peut s’avérer plus ou moins exacte, autant la première partie lui est entièrement dédiée. Il ne manque d’ailleurs pas cette occasion pour se faire prendre en pitié, encore. Manque cruel de famille et d’affection et voilà le résultat … J’espère que cela ne m’arrivera jamais à moi, parce que ça craint vraiment. Au moins, mon nom de lune n’est pas annonciateur d’une mort certaine … Mais peut être de celle de ma meute. Je continue à espérer que non, espérer que finalement le passé ne se répètera pas, et espérer que j’aurais tout aussi bien pu m’appeler Rédemption Ardente que Rédemption Oubliée. Au fond de moi, je sais bien que je suis maladroitement en train de me voiler la face. Stupide Heda. « Une Héritière Oubliée qui devient solitaire par honneur et rencontre un Traître. Ça ferait une jolie histoire. »
Héritière Oubliée. Héritage Oubliée. Le nom de lune de ma grand-mère, suivant Chimère Oubliée et précédant Psaume Oublié. L’histoire d’une famille d’Oubliés. Son histoire, qu’il qualifie de jolie, se soldera par une fin tragique pour sûr. Les belles histoires n’existent pas ici, elles n’ont pas le droit d’exister, au contraire des mauvaises. Cependant je ne serai pas seule, je suis intrépide mais pas folle. Une seule louve, aussi jeune et peu aguerrie, ne peut définitivement pas faire face à toute une meute apparemment très bien installée. Je sais qu’il faut un plan, des loups, du temps. Je n’ai aucune patience mais pas forcément le choix non plus. Seul le temps nous dira si je ne suis qu’une sombre conne ou une visionnaire. A choisir, je préfèrerais quand même être la visionnaire, cela semble emprunter un chemin un peu moins pentu que l’autre.
« Assez parlé de moi. Tu le verras toi-même, si jamais tu entends à nouveau parler des Navnik ou si tu contempleras un jour mon corps sans vie. Mais toi, quelle est ton histoire le solitaire ? Comment es-tu devenu le Traître ? »
Tout à fait vous avez bien lu, aucune parole méchante, aucun pique, aucun retour de bâton. Seulement une année de vie et Heda s’assagit déjà. Mais ne prenez pas trop espoir non plus, cela ne durera sûrement pas.
« Assez parlé de moi. Tu le verras toi-même, si jamais tu entends à nouveau parler des Navnik ou si tu contempleras un jour mon corps sans vie. » Bizarrement, je parie surtout sur la seconde option. Mais hey, c'est qu'elle pourrait bien être surprenante, au final, la gamine. Ca me donnerai presque hâte de voir comment se finira cette histoire... « Mais toi, quelle est ton histoire le solitaire ? Comment es-tu devenu le Traître ? » Le temps que la question arrive à mes oreilles, et mon sourire est revenu. Quelle question intéressante, tiens. On me la pose pas aussi souvent que je l'apprécierais...
« Oh, c'est une bonne question, vu que je n'aurais connu aucun de mes ascendants... » Littéralement. Je peux presque parier sur le fait que ma mère devait être la Traître dans l'histoire, à aller fricoter avec du chien pour son bon plaisir, mais après tout, je ne connais rien de mon père non plus. La lueur moqueuse qui danse dans mes yeux en prenant sa question au pied de la lettre, avant de redevenir à peu près sérieux en continuant. « Et n'ayant ni le nom ni l'envie de la retrouver concernant ma génitrice, sans parler de l'autre moitié de mes gênes, ça risque de rester tel quel. Juste le temps de me donner naissance, tuer mon frère et me balancer dans les pattes des humains. Là où est ma place, après tout. » j'ai grincé, caustique. « Des gusses qui ramassaient les clebs errants pour les faire s'entretuer et se dire qu'il y en a qui ont une vie encore plus merdique qu'eux. Et là, tu pourrais te dire, attends, cet espèce d'avorton à peine nourri a survécu à des combats de chiens? Est-ce qu'il a un merveilleux talent caché derrière sa gueule de raclure sur pattes? Dommage, la réponse est non. Je suis une raclure pas foutue de se battre d'apparence et une raclure pas foutue de se battre en vrai aussi. Je me suis jamais battu. Pas une fois. » Je n'ai pas pu empêcher mes pattes de me rapprocher d'elle, le regard vissé dans le sien et les gestes lents, attentif à chacune de ses mimiques. « J'ai obéi. J'ai donné la patte, je me suis roulé par terre, je leur ai léché les bottes, et le clébard le plus docile du camp tout entier, c'était l'autre enfoiré de demi-loup qui mériterai qu'on le jete éventré dans un fossé, l'autre traître qui regardait tous les autres s'entredéchirer avec son grand sourire. Le traître, le traître de sauvage qui avait toujours à bouffer, qui remuait la queue en passant au milieu des cadavres, le traître parmi les chiens. Le traître! » j'ai fini par lui hurler dessus, avant de reprendre mon souffle comme si de rien n'était et de marquer une pause. Sourire.
« Et puis ils se sont fait zigouiller. Les humains. J'me suis barré, et je sais pas par quel miracle les chiens m'ont pas étripé, et je me suis dit que j'allais voir ces fameux loups, les miens apparemment, les ordures qui sillonnent les vallées à la recherche de chiens à massacrer. Tu sais, ceux auxquels on me comparait. Entre raclures, on allait se comprendre... Mais j'te laisse deviner la suite, c'est pas dur. » En te référant à ma position actuelle de rebut sur pattes dont pas une meute ici ne veut pas la mort. « Tout le monde n'a pas pour plus grands problèmes dans la vie de chipoter sur le nom de sa meute. » Mais après tout, j'imagine que tout est relatif... Mais tu dois quand même pas avoir eu une vie trop dure non plus pour que ça soit ça la grande quête de ton existence. La mienne fait moins glorieuse, mais c'est pas comme si j'avais le choix, me concernant.