Rion -

Je suis un sale type, mais ça je l'assume. Je suis lâche, voleur, traître, moqueur et tous les autres mots qu'on peut trouver pour décrire une enflure de la pire espèce. Et c'est votre faute - parce qu'avoir une tête de clebs ici est un coup à se faire tordre la nuque par le premier idiot venu, donc j'ai fini par apprendre. Entièrement votre faute, sauf que personne n'avait prévu la survie du détraqué que je suis, et que ce même détraqué compte bien vous faire payer. Le prix fort.

Je crois ne pas être non plus un type agréable à fréquenter, mais je ne fais pas beaucoup d'efforts en ce sens non plus. Je n'en ferais pas pour des gens qui me détestent au premier regard, de toute façon, allez crever. Outre ma très, très légère tendance à mettre des sarcasmes partout ou carrément à mentir sans réfléchir, outre celle que j'ai de m'en prendre verbalement à à peu près tout le monde - surtout ceux qui n'ont pas les moyens de me répondre - je crois que je suis tout bonnement incapable de ressentir quelque chose de positif envers quelqu'un - pas faute d'avoir essayé pourtant. Même l'amour-propre c'est pas dans mes cordes, alors...

Ce qui n'a jamais voulu dire que mes deux oreilles ne sont pas grandes ouvertes lorsqu'il s'agit d'un pari où je peux gagner quelque chose. Ou juste un bon moyen de semer un peu de discorde chez mes grands amis les vrais loups. Le plus vous en souffrerez, le plus je serais heureux - ça vaut aussi pour les clébards, ça, d'ailleurs. La seule chose qui gagne le moindre intérêt à mes yeux sont les humains en eux-mêmes. Parce qu'ils sont fascinants, à commencer, et parce que ce sont à peu près les seuls à m'avoir sauvé la vie au moins une fois. Et que vu le nombre de personnes qui veulent ma peau, c'est déjà un très bon point.

Au fond, je suis sûrement le stéréotype du type qui se la joue caïd en pleurant la nuit sur la tombe de sa mère, mais qui en a quelque chose à faire? Que je sois un ange ou une raclure, personne ne me fera de cadeau, autant y être préparé.

L'aventure d'un soir qui anima sa mère n'était certainement pas censée donner naissance à quoi que ce soit; flirter avec un cabot égaré n'était qu'un passe-temps, et la naissance de deux petits croisés un accident pur et dur. Peut-être était-ce précisément l'indifférence de la mère qui causa très tôt la mort du premier, et le caractère revêche du second, qu'elle finit par abandonner à cinq mois près d'un campement humain, à peu près assez persuadée qu'ils l'adopteraient pour ne ressentir aucune culpabilité et disparaître de son existence sans même lui avoir donné de nom.

Si la survie du petit chien-loup aux balles des gardes peut être qualifié de miracle, l'endroit où il atterrit peut-être suffisant à regretter que ça ne soit pas arrivé. Le groupe d'humains qui le ramassa était un rassemblement hétéroclites de civils armés, de militaires, de réfugiés et d'autres rebuts dont le passe-temps - à part assurer leur propre survie - se trouvait dans les combats de chiens. Les vieux clébards agressifs, les loups paumés et les canidés voleurs faisaient d'excellents affrontements, rarement à mort - il n'était pas question d'épuiser leur précieux divertissement - mais souvent assez dangereux pour risquer la vie de tous les participants. Le jeune âge de l'orphelin lui sauva certainement la vie plus d'une fois, autant par la pitié d'un vieux combattant humain que par sa capacité à apprendre, qui se révéla précieuse.

Là où ses congénères hurlaient, mordaient, grondaient, griffaient, il apprit à se faire docile et amical, il apprit à laisser la main des hommes effleurer son poil et à reconnaître les visages qui les nourrissait. Il n'était pas non plus le meilleur des toutous, mais cela suffit à lui faire parvenir à chaque fois la meilleure ration de viande, la protection des humains, et leur vague affection; assez pour qu'on finisse par lui donner un nom - Rion. Ce que les autres chiens ne voyaient pas d'un excellent œil, eux qui passaient leurs journées enchaînés et parfois à s'entredéchirer, mais être proche des humains avait un autre avantage; il lui suffisait de rappliquer en geignant et hurlant près de n'importe quel gusse de passage pour que celui qui tentait de lui arracher les oreilles regrette assez instantanément son geste.

Rion grandit dans ce camp, loin de la plupart des autres chiens, et méprisé par à peu près chacun d'entre eux. Peut-être que c'est bien là la principale raison de sa méfiance exacerbée à l'extrême, à baigner littéralement dans la haine et le dégoût de tous les canidés qu'il croisait, à l'exception des quelques chiens de chasse qui accompagnaient les humains à la recherche de vivres; quoi qu'il en soit, chaque combat qui passait sous ses yeux le confortait dans sa ligne de conduite. Mais le camp finit bien par arriver à sa fin, qui apparut peu avant l'anniversaire des deux ans de Rion; et ce fut le début des ennuis pour le chien-loup.

Vivre de la pitié des humains était une chose; survivre à l'état sauvage en était une autre. Il perdit bien vite la corpulence qu'il avait gagnée à force de léchouilles, et dût apprendre sur le tas tout ce que personne ne lui avait enseigné. Voler les humains fut sa première source de nourriture. Il en savait bien plus sur eux que tout autre, et puisqu'il était devenu évident que le comportement de ceux qui l'avaient vu grandir était une exception, il ne trouva aucun remord à dévaliser toutes les réserves qu'il trouvait. Voler les loups se trouva également plus aisé qu'il ne l'aurai pensé, vif et rusé qu'il était, et patauds et stupides étaient les loups sauvages qui lui semblaient toujours laisser leur cerveau en veille. On ne tarda pas à le détester dans la région autant qu'au camp, et il apprit à développer une haine toute particulière pour ses cousins sauvages, qu'il espérait plus amicaux que les molosses qui faisaient l'amusement de ses anciens maîtres, après toutes les remarques qu'on lui aura jeté à propos de son apparence lupine.

Chasser s'avéra plus compliqué. Son manque de discrétion le trahissait constamment, là où dans la nature il n'y avait rien pour se cacher des proies qu'il traquait. Il lui fallut beaucoup de tentatives avant d'attraper le plus maigre des rats mourants. La chasse est toujours son point faible, et voler toujours son activité de prédilection.

Il suivit de loin les meutes lors de l'exode, ramassant quelques restes à peine mangeables et profitant de leur relative protection; lorsqu'il posa enfin les pattes sur ces nouvelles terres, Rion avait un but - la vengeance.

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